Gilles Jacquier, une mort suspecte

Jacques Duplessy se trouvait aux côtés du reporter de France 2 quand celui-ci a été tué par un obus de mortier à Homs. Il évoque la possibilité d’un traquenard organisé par le régime de Bachar Al-Assad.

Jacques Duplessy  • 26 janvier 2012 abonné·es

Quartier d’Akramah, à Homs, en Syrie, mercredi 11 janvier, 15h30. Quatre obus s’abattent près de nous. Gilles Jacquier, grand reporter à France 2, est tué dans la dernière explosion. Mon photographe Steven Wassenaar est blessé, ainsi que le fixeur du photographe de l’AFP, le caméraman de Gilles et une interprète libanaise. La télévision syrienne donnera un bilan de 9 morts et d’une vingtaine de blessés.

Nous étions arrivés à Homs deux heures auparavant dans le cadre d’un voyage organisé sous l’égide du ministère de l’Information, et à l’invitation d’une religieuse, sœur Agnès Myriam de la croix. Les autorités nous avaient garanti que nous pourrions travailler librement dans la ville, et que nous étions sous leur protection dans les quartiers qu’ils contrôlaient. À notre arrivée à l’hôtel, vers 14 h, il nous a été imposé de commencer notre visite par le quartier alaouite, dont la religion est également celle du président Bachar el-Assad, puis de poursuivre par un hôpital. Nous sommes arrivés sur une place, où nous avons rencontré quelques habitants et des Syriens soutenant le régime.
Nous étions très encadrés par des militaires et des civils en armes. Deux caméras de la télé locale nous filmaient. Soudain, des personnes nous ont demandé simultanément d’aller vers une école où un obus était prétendument tombé la veille. On constate même sur une vidéo que le caméraman de France 2 est alors saisi par la taille. Troublant. Et là, les obus ont commencé à tomber.

Beaucoup de zones d’ombre planent sur cette attaque. Nous a-t-on délibérément attirés dans un piège ? Était-ce une manipulation du gouvernement syrien ? Étonnamment, les obus sont tombés avec précision sur nos têtes, alors qu’il n’y avait pas d’autres attaques dans la ville. Les tirs se sont arrêtés juste après. Dans ce quartier, je n’ai constaté aucune destruction, pas de vitres soufflées, pas d’impacts de balles. Pas même ce ruban adhésif que l’on met sur les vitres dans les pays en guerre pour se protéger des éclats. Pourquoi les policiers et militaires en charge de notre protection se sont-ils retirés en nous envoyant vers le lieu d’impact ? C’est le contraire d’un comportement logique destiné à protéger des officiels.

Cette attaque colle aussi étonnamment au discours prononcé la veille par le président syrien. Dans une allocution télévisée, il avait accusé les médias occidentaux d’être responsables de la situation dans le pays et de vouloir détruire la Syrie. Tuer des journalistes européens pouvait s’inscrire dans la suite de ce ­discours. Cette attaque permet également de dissuader les reporters de venir voir ce qui se passe dans le pays, alors que l’accord avec la Ligue arabe prévoit pourtant que les journalistes puissent travailler normalement.
On ne peut pas non plus exclure que l’Armée syrienne libre, l’opposition armée au régime, soit à l’origine des tirs sur ce quartier connu pour soutenir le président syrien. Mais en accusant la résistance, qualifiée de « terroriste », le régime trouve un argument pour discréditer l’opposition sur la scène internationale et au sein de la population syrienne. Dans son discours, le président Bachar Al-Assad déclarait que personne ne pouvait rester neutre et que chacun devait choisir son camp. Cette attaque pourrait-elle conduire une partie de la population à soutenir le régime contre les « terroristes » ?

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