Leur dette, notre démocratie

Sur fond de perte du triple A, l’association Attac France a organisé avec succès une conférence internationale dimanche 15 janvier, sur le thème : « Leur dette, notre démocratie ». Voici quelques intervenants et organisateurs interrogés dans les coulisses.

Thierry Brun  • 15 janvier 2012
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Leur dette, notre démocratie

Illustration - Leur dette, notre démocratie
Près de 800 personnes le matin, plus l’après midi : les citoyens sont venus de toute la France pour écouter la trentaine d’intervenants lors de la conférence internationale organisée par Attac à l’espace Reuilly à Paris. Les organisateurs ont été contraints de refuser du monde. Quelques dizaines ont dû rester à la porte et affronter le froid sur le trottoir, avant d’entrer au compte goutte.

Les tables rondes animées par les journalistes de Médiapart ont accueilli les représentants d’organisations syndicales, associatives et des mouvements « indignés » des pays européens du Sud et du Maghreb [^2] sur différents thèmes : « La dette contre les peuples » ; « Indignation et luttes citoyennes : comment dépasser les limites de la représentation ? » ; « Quels remèdes à la crise démocratique européenne ? ».

Quelques uns des participants ont répondu à nos questions :

Jérôme Gleizes, économiste et membre d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) :

Conférence internationale et comités pour un audit citoyen de la dette publique sont un signe. Les gens veulent comprendre ce qui se passe. On leur ment. L’explication médiatique autour de la dette ne tient pas la route: on est en crise financière depuis 2008, on a injecté beaucoup d’argent, alors pourquoi cela continue ? c’est une question de bon sens. Il faut aussi sortir de certaines mythologies sur la création monétaire, et des théories du complot.

Nous sommes dans une situation de plus en plus ubuesque et kafkaïenne. Même les agences de notation disent que c’est parce que les États font des politiques d’austérité que la situation va se dégrader. On est dans un cercle vicieux et il faut en sortir. La réponse est politique. Mais, pour le moment, il n’y a pas de réponse politique… Comment on finance la transformation écologique ? C’est la clé. On n’a pas la mise en œuvre politique, or c’est ce dont on a besoin aujourd’hui.

Au niveau d’Attac, on a aussi ce refus à gauche de ces logiques de sortie de l’euro, de protectionnisme, etc. Le protectionnisme posé par le Front national est une mauvaise réponse à une bonne question. Il y a un travail pédagogique fait par rapport à cela. Par exemple, comment produit-on ? La relocalisation de la production est un processus du départ des matières premières jusqu’au produit final qui est vendu. Cela n’a rien à voir avec la nationalité du produit in fine. On met en cause le processus de production.

Abdessalam Kleiche, membre d’Attac, responsable de la commission Méditerranée, coordinateur des forums citoyenneté dans le monde arabe :

Les gens intègrent l’idée qu’ils peuvent peser sur l’économie et la finance. Jusqu’à maintenant, cela relevait de la sphère des experts, mais aujourd’hui le mot citoyenneté est au cœur de l’audit de la dette publique. Les propositions, les innovations et les questions pertinentes que les gens posent montre le besoin d’information et aussi d’une formation permanente. L’audit citoyen déclenche chez les citoyens une envie de savoir, de curiosité, de comprendre l’analyse, de dire : « Non, ce n’est pas comme ça que je conçois la chose ».

Les citoyens comprennent comment s’articulent le désengagement de l’État dans l’éducation, la santé, les hôpitaux et la question de la dette. Dans ce contexte de crise internationale, les gens comprennent que le phénomène est mondial. La question se pose en Europe, dans les autres pays de la Méditerranée, aux États-Unis.

Dominique Plihon, économiste « atterré » membre du conseil scientifique d’Attac :

Déterminer l’illégitimité de la dette, c’est aussi se poser la question du processus politique par lequel on va l’éliminer. Les libéraux ont une proposition : un tribunal des dettes avec des vrais juges. Le problèmes est que ces juges ont une vision biaisée de la dette, particulièrement au niveau européen, à l’intérieur de la Cour de justice européenne. C’est très dangereux ! Il faut une contre proposition par rapport à ça.

Il est inutile de s’attaquer aux dépenses publiques alors qu’elles ont été constantes depuis trente ans. En revanche, on doit s’attaquer à la fiscalité et au hold-up des marchés sur la dette publique. Il faut mettre en cause la « contre réforme fiscale », la destruction de la fiscalité qui avait été instauré dans l’entre deux guerres, puis après au lendemain de la guerre avec le Conseil national de la Résistance.

Eva Joly, candidate d’EELV à la présidentielle, dit que les banques sont responsables d’une partie importante de la hausse de la dette publique et veut les taxer pour rembourser la dette. Cette une mesure très concrète qui me va tout à fait.

Jean-Marie Harribey, économiste, ex co-président d’Attac :

Ce qu’il est possible et facile à mesurer, c’est le poids des taux d’intérêt à la suite du tournant néolibéral des années 1980. Ces taux ont monté dans cette période. Ensuite, le surcroit de taux d’intérêt est venu de l’obligation faite aux États d’emprunter sur les marchés financiers. Au fur et à mesure de la financiarisation, les taux d’intérêt ont grossi démesurément en fonction d’un prétendu risque accru.

Le communiqué de Standard&Poors annonçant la perte du triple de la France est à lire : l’agence de notation explique que les politiques d’austérité vont aggraver la récession, mais deux lignes plus loin qu’ils faut les perpétuer et accomplir les réformes dites structurelles, c’est-à-dire réformer le marché du travail. Au triple A, qui est l’Austérité salariale, budgétaire et monétaire, il faut enfoncer quatre coins. Celui de la revalorisation salariale, de la socialisation du secteur bancaire, de l’annulation des dettes publiques et de la réforme radicale fiscale.

Compte tenu du succès de la conférence internationale et de la mise en place de comités pour un audit citoyen de la dette publique, il est possible qu’on organise des manifestations à plus grande échelle, d’interpellation des politiques, comme au Portugal. Il serait temps de demander aux candidats à la présidentielle de préciser leurs propositions sur la dette publique.

Illustration - Leur dette, notre démocratie

[^2]: Raquel Freire (Movimento 12 Março, Portugal), Chafik Ben Rouine (comité pour l’audit de la dette tunisienne), Eric Toussaint (Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde), Cristina Asensi (Movimiento 15M, Attac Espagne), Katerina Kitidi, co-réalisatrice de Debtocracy, Grèce), Isham Christie (Occupy Wall Street), Katrin Oddsdottir (membre de l’assemblée constituante islandaise), Max Bank (Attac Allemagne)

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