ONJ, la belle aventure

Un quart de siècle d’audace créative, c’est la réussite de l’Orchestre national de jazz.

Lorraine Soliman  • 5 janvier 2012 abonné·es

Si la création d’un Orchestre national de jazz subventionné par le ministère de la Culture en 1986 a pu faire grincer des dents et redouter notamment un contresens dangereux pour le jazz et son « naturel aventurier », on est bien loin, aujourd’hui, des craintes et des railleries initiales. C’est que l’orchestre à vocation nationale et internationale mené par neuf directeurs successifs, et non des moindres, a rapidement fait ses preuves.

Du décrié « Jazz Lang Band », tel qu’on le surnommait alors, on est passé au très enviable ONJ, tel que le journaliste et musicologue Maurice Fleuret, nommé à la Direction de la musique et de la danse par Jack Lang, a contribué à l’imaginer : « Toutes les musiques sont égales en dignité, et nous avons à leur égard une égalité de devoirs. » Une position ferme et juste qui préside à la destinée de l’ONJ, heureux représentant de ces musiques « populaires » jusque-là mésestimées.

Dès 1983, une commission consultative pour le jazz voit le jour, constituée de musiciens, de pédagogues, de producteurs, de diffuseurs et de journalistes chargés de faire état des besoins du milieu. Trois ans plus tard, le premier ONJ voit le jour. Le saxophoniste François Jeanneau, par ailleurs directeur du big band Pandemonium depuis 1978, est appelé pour prendre la tête du nouvel orchestre. Le défi à relever est immense, mais il passionne.

Le principe initial et resté inchangé à ce jour concentre à lui seul l’essence de l’ONJ : carte blanche au directeur pour le choix des musiciens, du programme et des invités. Jeanneau ouvre donc le bal, avec un mandat d’un an non renouvelable pour lequel il réunit la jeune garde du jazz français.
De cet ONJ premier cru sortiront des musiciens tels que le guitariste Marc Ducret, les pianistes Andy Emler et Denis Badault, ou le contrebassiste Michel Benita, pour n’en citer que quelques-uns. À la batterie, un Américain, Aaron Scott, que Jeanneau contribue aussi à faire connaître – pour l’anecdote, il sera plus tard embauché par McCoy Tyner.

Car l’ONJ, c’est cela aussi, un orchestre de découvertes et d’audaces au service de la création. Le répertoire n’est pas exclu des programmes mais n’en constitue certainement pas le corps. Une ligne de conduite qui emmènera loin l’aventure du jazz en France, notamment à un certain élargissement du public.
Près de quatre-vingts concerts et trois disques plus loin, l’ONJ de François Jeanneau est dissous, au moment de tous les possibles. Gâchis, absurdité, amertume. L’idée d’une rotation rapide des chefs permettant de faire valoir la diversité du jazz en France mérite d’être revue et corrigée. Le pianiste Antoine Hervé, nommé en 1987, bénéficie de deux années pour mener à bien son ONJ. Ce jeune surdoué déjà rodé aux grandes formations propose une formule fraîche et innovante, davantage électrifiée, tournée vers le jazz-rock et une esthétique fusionnelle incarnés dans deux albums qui rencontrent un vif succès ( ONJ 87 et African Dream ).

Mais c’est le guitariste Claude Barthélemy (1989-1991), grand spécialiste de l’hybridation des genres, qui rompt véritablement le ton big-bandesque de l’ONJ. En réduisant les soufflants à sept, en introduisant l’accordéon, en misant sur trois guitaristes et en bouleversant la disposition scénique de l’ensemble. De cet « orchestre de chambre » expérimental naît une musique complexe, aux confins du contemporain, du blues et du jazz le plus baroque. Une boîte à idées qui achève de « déformaliser » le big band, comme le préconisait déjà François Jeanneau.

En suivant chacun leurs visions et intuitions, les Denis Badault (1991-1994), Laurent Cugny (1994-1997), Didier Levallet (1997-2000), Paolo Damiani (2000-2002) et Franck Tortiller (2005-2008) se sont relayés dans cette mission de service public sans jamais prétendre figurer pour autant un « état du jazz français ». Soit huit directeurs musicaux en tout (dont un double mandat pour Barthélemy), et désormais un directeur artistique, l’éclectique Daniel Yvinec, élu pour six ans en 2008, pour un ONJ d’une nature encore renouvelée, dont l’histoire est en train de se jouer – notamment à travers le superbe projet Shut Up and Dance .

Pour fêter les vingt-cinq printemps de l’Orchestre national de jazz, l’Ajon (Association pour le jazz en orchestre national) et la maison de disques Abeille Musique ­procèdent depuis janvier 2011 à la réédition numérique de l’ensemble des albums originaux ­(remasterisés) des neuf versions « intégrales » de l’orchestre. Six de ces Histoires d’ONJ sont d’ores et déjà disponibles sur l’ensemble des plateformes de téléchargement et nous donnent l’occasion de redécouvrir un cortège de créations jazzistiques qui ont, dans l’ensemble, fort bien vieilli.

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