« Pour sortir de la spirale de l’échec »

Rémi Lefebvre, professeur à Sciences-Po Lille, souligne l’habileté du discours du candidat Hollande au Bourget. Décryptage.

Pauline Graulle  • 26 janvier 2012 abonné·es

Illustration - « Pour sortir de la spirale de l’échec »

Spécialiste du PS, Rémi Lefebvre a récemment publié les Primaires socialistes, la fin du parti militant (Raisons d’agir, 8 euros). Il montre comment François Hollande revendique l’héritage et la victoire de François Mitterrand.

Quel regard portez-vous sur le meeting de François Hollande au Bourget ?

Rémi Lefebvre :** C’était avant tout un ­« meeting de papier » : ce qui comptait, c’est ce qu’en dirait la presse. Pari réussi si l’on en croit le verdict médiatique plutôt laudateur. Les moyens dévolus à ce grand exercice de communication étaient énormes : le meeting a coûté 900 000 euros, du jamais vu… Hollande a su placer quelques formules efficaces ( « j’aime les gens, quand d’autres sont fascinés par l’argent » , ou « mon adversaire, le monde de la finance » ). Il a réussi à surprendre en parlant davantage d’éléments de son programme que de sa vie personnelle, ce qui lui a permis de « faire le buzz » , de créer l’événement – passage obligé dans la communication politique aujourd’hui. Enfin, il a distillé dans son discours quelques « marqueurs » de gauche à bon compte : l’alourdissement des amendes pour les villes ne respectant pas la loi sur le logement social ou la constitutionnalisation de la laïcité… Soit des mesures essentiellement symboliques qui ne l’engagent guère.

Quel était l’intérêt pour François Hollande de « gauchir » son discours ?

Démarrer une campagne à gauche est un rituel… Hollande a « fait le job » rhétorique : tout le lexique y était, notamment le terme récurrent d’ « égalité » . Il a senti qu’il fallait s’attaquer à la finance – ce qui, là encore, ne mange pas de pain. Autre réussite : en ne prononçant pas le nom de « Sarkozy », il s’est placé au-dessus de la mêlée. Enfin, il est parvenu à transformer un passé familial lourd [un père engagé à l’extrême droite, NDLR] en atout politique : présenter cette histoire en soulignant que son engagement à gauche n’était pas le fait d’un « héritage » mais d’une conquête personnelle rassemble des électeurs plus modérés et accrédite le fait qu’il est un homme de choix.

Hollande, qui est un très bon orateur – meilleur dans les meetings qu’à la télévision –, est un pragmatique. Il adaptera son offre en fonction de l’évolution de la campagne. Au Bourget, l’enjeu était de tarir l’espace occupé par Mélenchon, de faire oublier l’image de la « gauche molle » , du « capitaine de pédalo » . Il n’est pas sûr que la suite soit du même acabit ! Au fond, la stratégie de Hollande est une stratégie de l’ambiguïté : il anticipe ses faibles marges de manœuvre et sait que c’est l’électorat modéré qui fera le vote.

On entend dire qu’il s’inspire de la stratégie de François Mitterrand en 1981…

Il a réussi à donner des gages à la gauche du PS et, en même temps, à entrer dans une posture de dépassement, ce qui peut effectivement faire penser à Mitterrand. Mais la comparaison avec la campagne de Mitterrand a ses limites : certes, Hollande doit aller chercher les électeurs du Front de gauche, mais en 1981 le PC représentait pas moins de 15 % des votes ! Si Hollande invoque en permanence Mitterrand, je crois que c’est d’abord pour crédibiliser sa candidature et sortir la gauche de la spirale de l’échec. En ce sens, la « filiation » avec la campagne victorieuse de Mitterrand est davantage une réaction vis-à-vis des campagnes ratées de Jospin et de Royal.

Par ailleurs, le meeting du Bourget, par son gigantisme, prenait modèle sur le meeting du 15 janvier 2007 de Sarkozy. Et l’équipe de campagne de Hollande se réfère surtout à la campagne d’Obama, destinée à un public très large : l’utilisation des 700 000 mails collectés par le PS lors des primaires signifie qu’il y a un débordement de la logique de parti.

En quoi ce début de campagne s’inscrit-il dans la continuité des primaires ?

Elles ont laissé des traces dans le sens où on a encore franchi une étape dans la présidentialisation et l’autonomisation du candidat par rapport au parti. On l’a vu dans le dispositif mis en place au Bourget : un petit film sur Hollande a été diffusé avant son discours, et ce sont des jeunes qui ont remplacé les « éléphants » sur la scène derrière lui. D’autre part, le programme est devenu une « plateforme » , et même les proches du candidat ignoraient ce qu’il allait dévoiler dans son discours.

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Un air de gauche
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