Xavier Mathieu, le juge et les candidats

Entre 1000 et 1500 euros d’amende ont été requis contre Xavier Mathieu pour « refus de prélèvement ADN » , lors d’un procès en appel très politique, à Amiens. Reportage.

Erwan Manac'h  • 5 janvier 2012
Partager :
Xavier Mathieu, le juge et les candidats
© Photo de Une : DENIS CHARLET / AFP

Drapeaux au vent, sono branchée devant le tribunal, valse effrénée de journalistes : rien ne manquait, mercredi 4 janvier à la cour d’appel d’Amiens, au tableau d’un parfait procès politique en période électorale. Xavier Mathieu, militant CGT de l’ancienne usine Continental de Clairoix (Oise), délocalisée en 2009, condamné en février 2010 pour le « saccage » de la sous-préfecture de Compiègne, comparaissait en appel pour « refus de se soumettre à un prélèvement d’ADN ». Relaxé en première instance le 28 juin dernier, il était jugé de nouveau après l’appel du parquet.

Dans une salle d’audience comble, le procureur, impassible, requiert entre 1000 et 1500 euros d’amende contre le syndicaliste. Il somme le juge d’appliquer une loi « imperméable à toute forme de choix discrétionnaire » , car elle est rédigée « à l’indicatif présent » . Une interprétation qui sera longuement contestée par l’avocate de la défense, qui appelle Charles Hoareau à témoigner. Ce militant CGT des Bouches-du-Rhône avait refusé en 2004 de donner son ADN sans être poursuivi, car le délit pour lequel il était poursuivi s’inscrivait dans son action syndicale. «Je ne crois pas qu’aujourd’hui une telle affaire n’aurait pas eu de conséquences » , analyse le procureur. « Il n’y a pas de bon vouloir du parquet » .

Automates

« Cette affaire interroge les magistrats que nous sommes… et les automates que nous ne sommes pas », lance Matthieu Bonduelle, juge d’instruction et président du Syndicat de la magistrature appelé comme témoin contre le fichage génétique. « Aujourd’hui, 1,7 million de personnes sont fichées, alors qu’en 2002 le fichier comprenait 3000 empreintes génétiques », s’inquiète le magistrat qui dénonce une « logique de sanction ».

Xavier Mathieu répond à la presse.

La défense refait le procès du fichage ADN, que Nicolas Sarkozy a élargi au fil des lois aux suspects d’une grande partie des infractions pénales, délits financiers mis à part. C’est la cinquième comparution d’un militant pour refus de donner son ADN au fichier. À la barre, le Dr [tableau_vert<-]
Catherine Bourgain, chercheur en génétique humaine, explique les risques que le prélèvement ADN entraîne pour les libertés individuelles. Notamment depuis que les progrès de la science permettent d’identifier plus facilement les origines ethniques et géographiques des personnes.

« Par amour »

Xavier Mathieu, ému aux larmes en fin d’audience, veut « parler d’honneur, de dignité » et d’amour. Il renvoie la justice vers les « vrais coupables » , « les dirigeants de l’usine Continental » délocalisée. Parmi les salariés licenciés « beaucoup sont aujourd’hui dépendants à l’alcool ou aux médicaments , raconte-t-il avant de fondre en sanglots. Il y a eu un suicide… et des divorces. » « J’ai trois enfants et je suis même grand-père », se reprend-il dans une dernière pirouette, « jamais je ne donnerai mon ADN autrement que par amour. »

Devant le tribunal, 500 syndicalistes, anciens salariés de Continental et militants politiques patientent en musique devant le palais de justice. Jean-Luc Mélenchon (Front de Gauche), Eva Joly (EE-LV), Philippe Poutou (NPA),
Nathalie Arthaud (LO) et Marie George Buffet (PCF) ont bravé le froid pour dénoncer « l’acharnement judiciaire et gouvernemental » et « défendre le droit à l’action syndicale » . Aux nombreux journalistes, en dispositif de campagne eux aussi, ils donnent la petite phrase contre un Etat « autoritaire » et « un parquet aux ordres » .

Le jugement a été mis en délibéré au vendredi 3 février, à 9h.

Diaporama :

Pour faire défiler plus lentement les photos : cliquer sur Pause puis passer les clichés avec la flèche de droite.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Pour en finir avec la centralité du travail
Travail 6 novembre 2025

Pour en finir avec la centralité du travail

Alors que le travail génère souvent de l’insatisfaction, en prise à des conditions toujours plus précaires, il reste présenté comme une valeur indépassable dans nos vies. Une centralité qui semble anachronique avec la catastrophe écologique, selon l’économiste Alain Coulombel.
Par Alain Coulombel
Expulsion illégale : une famille porte plainte contre le préfet des Hautes-Alpes
Enquête 5 novembre 2025 abonné·es

Expulsion illégale : une famille porte plainte contre le préfet des Hautes-Alpes

Une plainte pour « abus d’autorité » a été déposée contre le préfet des Hautes-Alpes par une famille expulsée illégalement en septembre. Celle-ci était revenue en  France traumatisée et la mère avait fait une fausse couche, attribuée au stress causé par l’expulsion.
Par Pauline Migevant
« Il faut modifier la Constitution pour empêcher l’avènement d’un régime autoritaire »
La Midinale 5 novembre 2025

« Il faut modifier la Constitution pour empêcher l’avènement d’un régime autoritaire »

Il vient de déposer une proposition de loi constitutionnelle : Éric Kerrouche, sénateur socialiste des Landes, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Mouvement social de 1995 : la naissance d’une nouvelle génération politique
Récit 5 novembre 2025 abonné·es

Mouvement social de 1995 : la naissance d’une nouvelle génération politique

Le grand mouvement social de 1995 a vu l’apparition d’une dizaine de futurs visages de la gauche, des figures qui, en trois décennies de vie publique française, n’ont jamais abandonné le combat. Très souvent en faveur de l’union de la gauche.
Par Lucas Sarafian