« Des spectacles à échelle humaine »

Le festival Sons d’hiver achève sa XXIe édition. Entretien avec Fabien Barontini, son directeur.

Ingrid Merckx  • 16 février 2012 abonné·es

Loin des sirènes estivales, Sons d’hiver poursuit depuis vingt ans une ambition éclectique et audacieuse en Val-de-Marne. Une trentaine de concerts programmés depuis le 27 janvier, de Cachan à Fontenay-sous-Bois en passant par Vitry-Sur-Seine, avec des musiciens et des groupes comme Pura Fe, La Rumeur, Ursus Minor, Élise Caron, le Surnatural Orchestra, Craig Taborn… Des noms connus ou moins connus, dans des formats ou des contextes nouveaux ou inattendus, l’idée étant de miser sur la découverte, la rencontre entre les genres et les générations, l’expérience physique.

Quatre jolis concerts pour clore le festival ces 17 et 18 février : Bunky Green avec son quartet, Pharoah Sanders avec Rob Mazurek, Archie Shepp avec Joachim Kühn, et Joe Bowie avec son Defunkt Millenium.

Sons d’hiver en Val-de-Marne, comme Banlieues bleues en Seine-Saint-Denis (du 16 mars au 13 avril), est un festival départemental qui se tient dans plusieurs villes. Comment conserver une unité ?

Fabien Barontini : Ce n’est pas un hasard si Sons d’hiver et Banlieues bleues se sont montés dans ces départements, dans les années 1980 et 1990, quand apparaissent de nombreux théâtres en banlieue. Le jeu consiste à réunir plusieurs partenaires – théâtres, salles de concerts – sur différents territoires et de les associer à un projet collectif. On prépare la programmation avec chacun en fonction de sa taille et de ses envies. L’artistique se travaille artisanalement.

L’affiche annonce « Festival de musiques », pas « jazz » ou « musiques actuelles ». Est-ce une manière de refuser les étiquettes ?

Don Byron (sax et clarinette) rappelait en début de festival que les classifications ont été inventées par l’industrie alors que les artistes sont en perpétuelle recherche. Autant les mots « jazz » et « hip-hop » sont nés de pratiques artistiques, autant « musiques actuelles » est un terme flou inventé par l’institution ministérielle. « Musiques », c’est l’appellation qui permet toutes les rencontres… Le public mélomane suit toutes les musiques, il se construit ses propres repères. Il vient attiré par un nom ou une proposition.
Nous insistons beaucoup sur la notion de curiosité. D’où une volonté de susciter des événements inconnus en France. C’est le cas, par exemple, du concert qui réunit Pharoah Sanders et Rob Mazurek. Un grand musicien des années 1960 et un des années 1990, Chicago et São Paulo, le free-jazz et l’électro brésilien actuel…

Comment avez-vous découvert
une artiste comme Tamar-Kali ?

Par le biais de la Black Rock Coalition. Un mouvement né dans les années 1980 sous l’impulsion du guitariste Vernon Reid et de l’écrivain Greg Tate pour dire que le rock a aussi des racines noires. On a programmé plusieurs concerts avec ce collectif. Tamar-Kali a dirigé en 2008 une formation de seize femmes qui proposaient un hommage à Nina Simone. Ce fut une révélation. On a voulu mieux la faire connaître. Elle était ­programmée cette année dans deux espaces musicaux différents, l’un avec un collectif hip-hop féminin, Born in Flames, l’autre avec un quintet à cordes, le Psychochamber ensemble.

Lors de ce deuxième concert, Tamar-Kali et son ensemble ont joué des morceaux inédits. Vous programmez des artistes qui n’ont jamais publié de disque ?

Les musiciens qui pensent qu’il faut avoir enregistré un disque pour se produire sont déjà dans le schéma du show-business. Notre rôle de festival, c’est d’avoir un rapport éthique avec la programmation. Il faut qu’elle soit le résultat d’une réflexion assortie d’un goût artistique. On défend le spectacle vivant : la scène est primordiale. Notre boulot consiste à créer les conditions d’un espace de liberté artistique. La qualité artistique ne peut exister dans les concerts de masse. Il faut des spectacles à échelle humaine, sans quoi, pas de finesse. La musique est un art charnel et sensible.

Vous aimez dire que la musique est votre manière « d’être des Petits Princes… »

Quand le Petit Prince arrive sur la planète du financier, il comprend qu’il ne peut pas y vivre. Nous vivons aujourd’hui sur la planète du financier. La musique, c’est la planète du Petit Prince. « L’homme civilisé est un homme machine , a regretté, pendant le festival, le chanteur John Trudell, ancien porte-parole de l’Americain Indian Movement. Nous, les Amérindiens sommes des êtres humains. » Et l’on peut ajouter : l’art est ce qui nous permet de rester humains.

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