« Il faut un big bang fiscal »
Le syndicaliste Pierre Khalfa définit ce que pourraient être une fiscalité de gauche et une réhabilitation de l’impôt sur le revenu, privilégiant la progressivité de celui-ci et ne faisant plus l’impasse sur le coût du capital.
dans l’hebdo N° 1190 Acheter ce numéro
Y a-t-il nécessité aujourd’hui à réhabiliter
l’impôt et pourquoi ?
Pierre Khalfa : Depuis une vingtaine d’années, on assiste à une dévalorisation de l’idée même d’impôt, menée par tous les gouvernements : évidemment ceux de droite, mais aussi de gauche. On se souvient de la tribune de Laurent Fabius en août 2001 dans le Monde intitulée : « Baisser les impôts pour préparer l’avenir ». En fait, la droite conservatrice et la gauche social-libérale ont communié dans la ferveur de la baisse des impôts, et on a assisté à une véritable contre-révolution fiscale.
Cette baisse a essentiellement bénéficié aux ménages les plus riches et aux entreprises, en particulier les plus grandes. Les recettes de l’État sont ainsi passées de 22,5 % du PIB en 1982 à 15,1 % en 2009. L’État s’est donc relativement appauvri. On trouve là la racine du déficit budgétaire. Un rapport présenté en juillet 2010 par le député UMP Gilles Carrez, dans le cadre du débat d’orientation budgétaire, indique ainsi qu’en l’absence de ces cadeaux fiscaux le déficit budgétaire n’aurait été que de 3,3 % du PIB en 2009 – au plus fort de la récession – au lieu de 7,5 %, la France connaissant même, dans ce cadre, un léger excédent budgétaire en 2006, 2007 et 2008.
Que serait pour vous une fiscalité de gauche ?
La fiscalité peut remplir trois fonctions : fournir des ressources suffisantes à l’État et aux collectivités publiques pour financer les services publics et les investissements d’avenir, réduire les inégalités en établissant une véritable progressivité de la fiscalité sur les revenus et le patrimoine, et inciter les ménages et les entreprises à des choix favorables à l’emploi et au respect des impératifs écologiques. Ces trois fonctions peuvent à un moment donné être contradictoires, et c’est le débat démocratique qui doit permettre de définir des priorités. Nous avons défini (1) les contours du big bang fiscal que nous appelons de nos vœux.
Au-delà du réexamen des niches fiscales, il faut rétablir la progressivité du système fiscal pour mettre en œuvre la fonction redistributive de l’impôt. Cela implique de réduire le poids relatif des impôts indirects comme la TVA et d’augmenter la part des impôts progressifs, comme l’impôt sur le revenu (IR) ou l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Par exemple, concernant l’IR, il faut augmenter le nombre de tranches et accroître très fortement le taux marginal supérieur d’imposition.
Nous avons fait une proposition de barème qui concentre l’augmentation de l’impôt sur les déciles supérieurs de revenus, avec 10 tranches et un taux marginal quasi confiscatoire au-delà de 500 000 euros annuels. Cela permettrait, toutes choses égales par ailleurs, de dégager un supplément de recettes de 10,5 milliards par rapport au barème actuel. Il faut, de plus, en élargir l’assiette selon le principe que tous les revenus doivent être soumis à l’IR, notamment en finir avec le prélèvement libératoire dont bénéficient les revenus du capital.
Concernant la contribution sociale généralisée (CSG), qui est un impôt affecté au financement de la protection sociale, une dose de progressivité est nécessaire pour la rendre plus équitable.
Il existe actuellement un débat sur le quotient familial. Nous nous prononçons pour sa suppression – il favorise outrageusement les familles les plus riches et ne bénéficie pas aux 50 % des familles qui ne sont pas imposables – et pour son remplacement par un forfait unique par enfant.
Nous sommes pour une réforme de l’impôt sur les sociétés (IS) afin de rétablir l’équité fiscale entre les entreprises : aujourd’hui, plus une entreprise est importante et moins elle paye d’impôts. Il faut élargir l’assiette de l’IS en supprimant les mesures dérogatoires qui incitent aux placements financiers et à la distribution de dividendes et de stock-options, et alourdir son taux pour les entreprises qui distribuent leurs bénéfices sous formes de dividendes.
Enfin, dans le cadre de cette réforme fiscale globale permettant une redistribution des revenus, il faut mettre en œuvre une fiscalité écologique dont l’objectif doit être de modifier les comportements. Elle doit remplir deux conditions. Tout d’abord, elle ne doit pas se substituer à d’autres recettes fiscales ou, pire, remplacer les cotisations sociales, car une fiscalité écologique qui marche, c’est une fiscalité dont les recettes diminuent puisqu’elle aura réussi à inciter les acteurs à changer de comportement. Ensuite, elle doit s’accompagner de la mise en œuvre de politiques permettant aux ménages d’avoir réellement le choix. Cela ne sert à rien de mettre en place une taxe carbone si, par exemple, il n’y a pas dans le même temps un développement des transports publics.
Comment analysez-vous le choix d’utiliser aujourd’hui la TVA pour mener des politiques de réduction des déficits et de relance de l’emploi ?
La mise en place de la TVA « sociale » va se traduire par une hausse des prix qui pèsera le plus sur les catégories sociales les plus pauvres. Socialement injuste, elle est économiquement inefficace. Elle va réduire la demande alors que celle-ci est déjà atone. Alors que la récession est en train de s’installer, une telle orientation ne fera que l’aggraver et développer le chômage. En postulant que le problème fondamental est aujourd’hui le coût du travail, elle fait l’impasse sur le coût du capital. Or, c’est bien celui-ci qui pose problème, avec l’explosion des dividendes versés aux actionnaires.
Faut-il revoir la réglementation européenne ?
L’Union européenne s’est construite sur la base du dumping fiscal, qui favorise la concurrence entre les États et la baisse continue de leurs recettes fiscales. Il faut y mettre fin, notamment en harmonisant par le haut l’impôt sur les sociétés, que ce soit en matière d’assiette ou de taux. Il est hallucinant que l’Union ait accepté que l’Irlande maintienne son impôt sur les sociétés à 12,5 % alors même que son déficit budgétaire a atteint 30 % du PIB en 2010 du fait de la prise en charge par l’État du secteur financier.