Mélenchon en terre « Frêche »

Dans Montpellier et sa région, le Front de gauche prospère sur le fief d’un PS miné par les affaires. Reportage.

Pauline Graulle  • 16 février 2012 abonné·es

Illustration - Mélenchon en terre « Frêche »

À 65 ans, Didier Chartier n’a pas perdu son regard malicieux. Il faut dire que ces derniers temps, après quinze ans passés aux côtés de l’inamovible Georges Frêche, la fibre militante de cet ancien adjoint en charge de l’urbanisme à la mairie de Montpellier (Hérault) a repris un petit coup de jeune. « Les camarades de mon âge ont tous dérivé vers la droite ; moi, j’ai fait l’inverse : j’ai commencé au PSU, été militant au PS, je finis au Front de gauche ! » , s’amuse celui qui dit avoir toujours été « socialiste » – spécialement, estime-t-il, quand il a voté « non » au référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005.

Didier Chartier n’est pas le seul, en Languedoc-Roussillon, à avoir franchi le Rubicon pour rejoindre les rives de « la gauche de gauche ». Dans cette région traditionnellement acquise aux socialistes, mais également bastion ­communiste (comme à Sète, jusqu’en 2001, ou dans les Cévennes), un vrai ­frémissement se fait sentir en faveur du parti de Jean-Luc Mélenchon. La semaine dernière, le meeting du candidat à la présidentielle a réuni, à la surprise même de l’intéressé, plus de huit mille personnes au Parc des expositions de Montpellier.
Les assemblées citoyennes du Front de gauche, organisées depuis quelques mois dans la ville et alentour, ont elles aussi trouvé leur public : « Des personnes issues de tous les horizons de la gauche et de plus en plus nombreuses » , affirme Didier Chartier, coorganisateur de la première du genre à Montpellier, à laquelle ont assisté plus de quatre-vingts curieux.

Comme Julien, « écolo » qui conteste la « ligne politique libérale des Verts » , ou Thibaut, étudiant en droit âgé de 19 ans, un temps intéressé par « l’utopie » du NPA avant de se convertir à la ­ « révolution citoyenne » portée par le Front de gauche. Il y a encore Cyril, un ex-encarté au Mouvement des jeunes socialistes, qu’il a quitté à cause du « manque d’écoute » de l’état-major. « Aux assemblées, on trouve aussi beaucoup de gens qui ont toujours voté socialiste mais qui nous rejoignent parce qu’ils sont dégoûtés des pratiques du PS dans l’Hérault » , souligne Chantal Ponsot, cosecrétaire du Parti de gauche-34, dont le petit QG est niché dans le quartier populaire du Boutonnet, à Montpellier.

C’est que le PS est ici plus que jamais en déliquescence. En septembre 2010, à la suite de soupçons de corruption, la fédération est placée sous tutelle par Martine Aubry. Quelques semaines plus tard, la mort de Georges Frêche, pater familias de la politique locale, exacerbe encore les rivalités entre ses héritiers : « La Région, le conseil général, l’agglomération, la ville… Tous sont dirigés par des socialistes, proches de Frêche, mais qui sont jaloux les uns des autres et se tirent dans les pattes » , déplore une figure du PS local qui, fatiguée de toutes ces « guéguerres » , confie sous le sceau de l’anonymat qu’elle votera Front de gauche à la présidentielle et aux législatives. « À la tête de la fédération, Solférino a envoyé des ­apparatchiks , ­soupire Bernard, militant socialiste à Béziers. Résultat, les militants se sentent délaissés. Beaucoup vont donner leur voix au Front de gauche pour donner une leçon au parti. »

La semaine dernière, Mélenchon disait vouloir faire du Front de gauche « la première force de gauche » dans la « pétaudière » socialiste de l’Hérault, « structure décadente, percluse de combinaisons » , où les proches du sénateur Robert Navarro, exclu du PS en 2010, sont un à un mis en examen. Fred, jeune militant montpelliérain, se montre plus prudent : « Malgré les affaires de corruption, le PS n’est pas si affaibli que ça , analyse celui qui a conduit l’une des rares listes unitaire Parti de gauche/NPA contre les listes de Georges Frêche et d’Hélène Mandroux, la maire actuelle, aux dernières régionales. « Le “système Frêche” et le clientélisme qui va avec ont survécu au bonhomme. » Pour les balayer, il faudrait sans doute plus qu’une dynamique électorale.

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