Premier de crevasse

Pierre Terzian donne à voir un monde âpre pour qui n’est pas bien né.

Elodie Corvée  • 16 février 2012 abonné·es

«Une trace que la montagne efface. Tu disparais. Sous la neige. Dans la roche, et, couvert de silence, tu deviens secret. Au fond d’une crevasse, la plus belle manière de crever. » Les premières lignes du récit de Pierre Terzian, Crevasse, auraient pu être les dernières. D’emblée, l’auteur donne la mort à son personnage principal comme signifiant qu’aucun espoir n’est possible. Car la suite n’épargne pas ce « tu », qui n’a eu de cesse de toucher le bonheur des doigts sans jamais réussir ne serait-ce qu’à l’effleurer.

Sans nom, il déroule à la ­deuxième personne du singulier le fil d’une vie qu’il n’a jamais su contrôler, dans un récit dépourvu de ­dialogues, à la fois vif et profond, âpre et sensible. Un récit qui donne à voir un monde sans pitié pour qui n’est pas bien né. Élevé à l’ombre des immeubles d’une cité pauvre de banlieue parisienne, le personnage de Pierre Terzian a appris à vivre sans amour, ballotté entre un père violent, une mère soumise et les petits caïds ingrats de son quartier. Une quarantaine d’années plus tard, il arpente les couloirs d’un lycée, à surveiller ces mêmes bandes de gamins qui, dans une autre vie, s’étaient mis en tête de lui faire la peau.

Face à ce triste portrait, l’écriture de Terzian se fait lumineuse, sans fioritures ni misérabilisme. Les mots sont précis, parfois crus, pour coller à la dureté du quotidien du personnage. Les formules subtiles, ingénieuses, perspicaces. Metteur en scène, Pierre Terzian a su, pour son premier roman, transposer la vivacité des ­dialogues d’une pièce de théâtre à l’intérieur d’un récit qui n’en comporte pas.

Après ce va-et-vient entre les premières et les dernières années de la vie de « tu », Terzian nous invite à découvrir l’entre-deux de ce personnage qui se révèle bien plus dense et complexe qu’il n’y paraît. « Tu » rêvait d’une vie meilleure. Une vie sous les projecteurs. « À un moment t’as cru à tout. T’étais gourmand. Un papillon. Le grand acteur, la perle, l’horizon brûlant. »

Au lieu de cela, une plongée en enfer. Papillon de nuit au cœur d’un Pigalle impitoyable. « Tu » touche le fond, mais rebondit. Au gré de rencontres et de hasards. Mais « tu » continue de découvrir la vie, à la dure. L’amour aussi. Un amour qui changera « tu » en « je », le temps d’une déclaration.
À chaque coup encaissé, le personnage de Pierre Terzian se fait plus fort. S’il reste marginal, petit à petit, au fil des pages, il parvient à habiter vraiment sa vie. Ne trouvant d’épanouissement qu’en se frottant aux flancs des montagnes, c’est en haut des cimes qu’il décide de vivre ses derniers moments. Libre et libéré.

Culture
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