Sarkozy, cet inconnu

Denis Sieffert  • 16 février 2012 abonné·es

Illustration - Sarkozy, cet inconnu

Une antédiluvienne journaliste de radio commençait autrefois ses chroniques par une formule un peu mystérieuse : « Attendez-vous à savoir… [^2] » S’ensuivait une prophétie plus ou moins cousue de fil blanc. L’affaire considérable que l’on nous annonçait pour ce milieu de semaine aurait fait ses délices. Car voilà que nous avons appris ce que nous savions déjà.

Dur métier que celui qui consiste à feindre l’étonnement quand il n’y a pas l’ombre d’une surprise, et à commenter un événement dont on a déjà tout dit. Mercredi soir donc, Nicolas Sarkozy devait annoncer officiellement sa candidature à sa propre succession. Jeudi, il sera à Annecy pour un « premier » meeting de campagne. Il nous a dit maintes fois « candidat, je vais l’être », il va nous dire cette fois « je le suis ». Mais avec quels mots, et quelles intonations ? Quelle mimique ? Et quelle cravate ? Faisons confiance aux politologues pour ronger cet os-là jusqu’à s’en étrangler. Car, trêve de plaisanterie, nous parlons de cet homme – il nous fait parler de lui – comme s’il était nouveau en politique. Du gouvernement Balladur en 1993, dont il fut ministre du Budget, à la fin de ce quinquennat présidentiel, en passant par la place Beauvau à partir de 2002, où il fut un premier flic de France qui ne passait pas inaperçu, cela fait tout de même bientôt vingt ans qu’il est omniprésent dans notre vie politique. Faut-il tomber grossièrement dans le piège du « projet » quand c’est évidemment du bilan d’un sortant dont il devrait être question ? Sans compter que voilà bien trois mois qu’il est en campagne pour sa réélection, dans la confusion des rôles.

Certes, il n’est pas tout à fait inintéressant de voir les valeurs qu’il met en avant à l’heure de la bataille finale. Mais, au fond, Nicolas Sarkozy se présente à nous tel qu’en lui-même : fieffé réac, armé d’une pensée simple qui fait de lui un émule des néoconservateurs américains. Innéiste, et probablement un peu créationniste, échoué comme une manifestation de notre déchéance collective à la tête de la patrie de Voltaire. Si quelque chose est nouveau dans cette histoire, ce n’est ni Sarkozy ni son discours. C’est notre propension, à nous autres commentateurs, à faire compliqué quand l’évidence nous tend les bras. Cessons donc de dire que le président candidat « braconne » sur les terres du Front national. En vérité, il chasse sur ses propres terres. Que l’on nous démontre en quoi Marine Le Pen est plus « à droite » ou « plus réac » que Nicolas Sarkozy. En quoi son proche entourage est plus régressif que celui du président sortant.

En quoi les saillies de M. Guéant, qui hiérarchise les civilisations comme un fidèle disciple du comte de Gobineau, ou celles de M. Hortefeux, qui voit des problèmes quand les Arabes sont « plusieurs », ne seraient pas du meilleur effet au Front national. En quoi les conseils dispensés à l’Élysée par l’ancien journaliste de Minute Patrick Buisson ne seraient pas précieux à Mme Le Pen. Croit-on vraiment que tous ces gens jouent ? Qu’ils rusent, le nez sur les sondages ? Qu’ils sont si différents de ce qu’ils donnent à voir ?
Bien entendu, il y a au gouvernement des cyniques. Des gens qui se rattachent à la droite parlementaire classique, parfois même avec un dernier zeste de gaullisme. On sent, par exemple, Alain Juppé mal à l’aise dans sa défense forcée du sarkozysme. Pour ne citer que lui. Mais avec Sarkozy, au moins, on sait à quoi s’en tenir. Dans l’inventaire des « valeurs » publié par le Fig Mag , tout suinte la France rancie de préjugés. L’intégriste Christine Boutin a trouvé dans cet étalage une échappatoire. Elle a retiré une candidature vouée au néant. Mais même elle a dû passer quelques compromis avec sa conscience chrétienne.

On pense notamment à ce référendum sur les chômeurs, qui apparaît comme une synthèse de l’ensemble. C’est à soi seul une représentation sarkozyste du monde. C’est aussi un trait d’union entre le bilan et le projet. Comme la politique de M. Sarkozy a fait monter le chômage jusqu’à des sommets, et qu’il n’est pas question de changer de politique (celle-là même qui, au propre comme au figuré, transforme la Grèce en champ de ruines), nous allons dissoudre non pas le peuple, à la manière brechtienne, mais les chômeurs. Et nous allons faire éliminer cette encombrante catégorie par les autres, ceux qui travaillent, à qui nous allons demander : voulez-vous continuer d’aider vos concitoyens privés d’emploi ? En espérant que les temps seront assez rudes pour que la solidarité soit vécue comme un luxe. Revenons à notre question : en quoi la morale qui inspire ce genre d’initiative se distingue-t-elle de celle de Marine Le Pen ?
Si par quelque miracle, toujours possible, Nicolas Sarkozy parvenait à renouveler son bail à l’Élysée, la statistique du chômage baisserait. Pas le nombre des sans-emploi, ni celui des pauvres, qui augmenteraient. Mais la « faute » ne pèserait plus sur les mêmes épaules. Culpabiliser les pauvres, n’est-ce pas en soi un beau programme pour un deuxième quinquennat ?

[^2]:  Geneviève Tabouis (1892-1985), qui fit entendre sa voix caverneuse jusque dans les années 1980.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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