Des candidats très connectés

Les partis politiques ont chacun leur stratégie pour gagner la bataille de la présidentielle sur Internet, avec en priorité l’utilisation de Twitter. Les mots d’ordre : visibilité et réactivité, sans oublier un brin d’humour.

Xavier Frison  et  Pauline Graulle  • 8 mars 2012 abonné·es

Illustration - Des candidats très connectés

Bon an mal an, ils s’y sont tous mis. De François Bayrou à Philippe Poutou, pas un candidat qui ne possède le kit minimum du présidentiable « moderne » : site Internet personnalisé, compte Twitter et page Facebook. Objectif : faire parler de soi sur les réseaux sociaux. Ces sites qui diffusent de l’information en continu – et de manière contiguë – dans un aller-retour permanent entre la toile et les médias traditionnels.

Aujourd’hui, c’est sur Twitter que ça se passe. Popularisé en 2008 en France, le site de microblogging*, où l’on s’informe, s’engueule et se réconcilie dans des messages de 140 caractères, rassemble désormais 5,2 millions de Français. Effet « présidentielle » ? Un million de personnes se sont inscrites au quatrième trimestre 2011. Une manne d’électeurs potentiels… mais surtout un nid de journalistes et de blogueurs influents. D’où la soudaine appétence des politiques pour le gazouillis virtuel. Parmi eux, Nathalie Kosciusko-Morizet, femme politique la plus suivie sur Twitter (132 000 abonnés), Nadine Morano, qui avoue « taper plus vite que ses doigts » (sic), ou Cécile Duflot, qui abreuve les « twittos* » de ses réflexions dans le RER… Fort de ses 180 000 abonnés, le compte @Fhollande prend la tête des présidentiables les plus populaires. À côté, @Nicolas Sarkozy, créé mi-février, fait presque pâle figure avec 107 000 abonnés.

Mais, en cette veille d’élection nationale, il faut faire plus qu’occuper, même activement, les terres virtuelles : labourer le terrain grâce à une vraie stratégie de communication. Depuis 2007, dans les QG de campagne, on a vu débarquer une jeune garde de geeks*, ces consultants biberonnés au web (davantage qu’au militantisme) qui aident les candidats à se faire une place dans l’infinité des méandres du réseau.

Chaque parti possède ses troupes et son organisation. Au PS, c’est la machine de guerre : un budget de près de 2 millions d’euros et une équipe de 35 personnes, salariées aux deux tiers. Mission : animer les sites de campagne, produire des newsletters, gérer le trésor du demi-million d’adresses mails amassées pendant la primaire… Mais aussi choyer les 27 000 militants numériques et les 150 activistes sur Twitter et Facebook à qui sont envoyés les éléments de langage… « Nos mots d’ordre , précise Vincent Feltesse, le responsable de campagne web de François Hollande, c’est “démultiplication” et “mobilisation”. » Et parfois : attaque en règle du rival. Comme lorsque la
twittosphère « hollandaise » réussit le tour de force de faire monter en tête des mots clés les plus cités sur Twitter dans le monde (!) le hashtag* #Sarkoçasuffit au soir de la déclaration de candidature de celui-ci…

En face, l’UMP ne se gêne pas pour rendre les coups. En politiquement correct, on dit : « la riposte aux arguments de nos adversaires » . Avec « l’animation militante et la valorisation du bilan du Président » , c’est l’un des trois objectifs de la campagne web, indique Benjamin Lancar, président des Jeunes Populaires. Étonnamment, le parti qui marche droit mise sur un fonctionnement relativement décentralisé pour irriguer la toile. Après un an de formation, les trois quarts des fédérations UMP ont ouvert un compte Twitter. Au total, « 150 à 200 personnes très mobilisables qui peuvent réagir à tout moment » . Par exemple, pour jouer un mauvais tour au candidat Hollande en s’appropriant l’adresse www.lechangementcestmaintenant.fr et en en faisant un site où « l’UMP rétablit la vérité » . Ou encourager les citoyens à occuper le « vrai » terrain. Car loin de remplacer les vieilles recettes, collage et tractage, ces nouveaux moyens de communication « s’ajoutent » , souligne Benjamin Lancar.

Mais la vraie plus-value du Net, c’est qu’on peut y créer le buzz* avec trois bouts de ficelle. Une aubaine pour les « petits » partis qui peinent à se faire entendre dans le débat grand public. Pas un hasard, donc, si le Front national est depuis longtemps organisé sur les médias alternatifs. Et le premier, il y a trente ans, à avoir utilisé les « audiotels », des répondeurs téléphoniques dictant les consignes aux militants. En 2012, le parti d’extrême droite sort l’artillerie lourde : il lance la même semaine une application pour regarder en live sur son iPhone les meetings de la candidate, mais aussi un site agrégateur de contenus pour blogueurs indépendants et le site du comité de soutien regroupant les nouveaux venus au FN. « Internet permet de faire contrepoids face à la bipolarisation du débat sur les grands médias » , plaide David Rachline, le « monsieur web » de Marine Le Pen.

Encore faut-il être visible. Dans la galaxie du Net, pas de mystère : pour être vu, il faut être créatif. Le plus souvent, en usant du « énième degré » caractéristique de la « LOL politique ». Un ton décalé, voire potache, qui parcourt les vidéos parodiques, les zappings d’actu « chaude » et autres fakes… Récemment, un faux profil Facebook au nom de Nicolas Sarkozy, retraçant les pires moments du quinquennat, a été vu par plus de 100 000 visiteurs. « Culturellement, la gauche est plus adaptée à l’esprit libertaire de la toile » , affirme@Vogelsong, un « twittos » observateur de la campagne online.

Exemple avec le pastiche de la série « Dr House », transformée en « Dr Gauche » par des bénévoles du Front de gauche. Ou avec la « websérie » qui dévoile chaque semaine les coulisses de la campagne : Mélenchon avec des habitants d’une cité de Grenoble, Mélenchon devant Standard & Poor’s… Le storytelling politique n’est certes pas l’apanage du web. Mais ce dernier lui donne un nouveau souffle.

Et la mayonnaise prend. Reflet de la campagne « réelle », le Front de gauche version « virtuelle » (seulement 100 000 euros de budget) a été classé par le Lab d’Europe 1 comme le deuxième parti le plus influent du moment sur Facebook. De là à imposer ses thèmes ? Pas si simple. « Ce qui fait l’actu, ce sont les médias de masse , reconnaît Alban Fischer, architecte de la campagne online de Jean-Luc Mélenchon. On ne peut que surfer sur les sujets des autres en essayant de les traiter avec notre ton et notre fond. » « Internet est devenu le seul média où l’on peut construire un discours argumenté en face de la désinformation télévisuelle » , juge Élise Aubry, la communicante qui se cache derrière le compte twitter de @Evajoly (45 000 abonnés).

Du fait du manque de moyens (un budget inférieur à 150 000 euros), mais aussi parce qu’ « une campagne c’est comme un logiciel, c’est mieux quand c’est libre » , Europe Écologie-Les Verts (EELV) a opté pour un fonctionnement en réseau : quatre permanents entourés d’une trentaine d’« écologeeks » (moyenne d’âge : 30 ans), noyau dur autour duquel bourdonnent de « petites abeilles » qui butinent sur les réseaux sociaux et les forums. Promis juré, en toute liberté : « Le militant n’est pas là pour recevoir l’info à diffuser mais pour la co-construire avec nous. »

Question du jour, lors de notre rencontre avec Élise Aubry : répondre ou non à la polémique lancée par le « Je l’emmerde ! » d’Eva Joly à Corinne Lepage sur Canal + ? Après concertation, la petite équipe renonce à une réponse officielle. « On doit être dans l’immédiateté, résume Élise Aubry, pas dans l’urgence. »

Publié dans le dossier
La campagne 2.0
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