Duprat, tout pour déplaire

Le documentariste Joseph Beauregard et l’historien Nicolas Lebourg publient une biographie fouillée de l’activiste d’extrême droite.

Olivier Doubre  • 1 mars 2012 abonné·es

En surpoids, le teint laiteux, voire jaunâtre, d’épaisses lunettes à double foyer pour corriger une forte myopie, l’air généralement assez sale, selon beaucoup de ses proches dans les années 1960, usant parfois d’une tranche de jambon comme… marque-page dans ses livres ! Ajoutez à cela des idées aussi nauséabondes que le racisme, l’antisémitisme, le négationnisme (dont il fut l’un des premiers diffuseurs des affabulations), sans oublier le fascisme et une forte admiration pour les Waffen SS, le personnage de François Duprat est a priori peu ragoûtant. Il fut pendant près de vingt ans au centre de toutes les mouvances et groupuscules de l’extrême droite française, de Jeune Nation des frères Sidos au soutien discret de l’OAS pendant la guerre d’Algérie, d’Occident à Ordre nouveau, jusqu’au Front national, dont il fut l’un des fondateurs.

C’est là la partie « officielle » des activités politiques de François Duprat, Gascon né en 1940 dans une famille de postiers de gauche, d’un père décoré pour ses activités dans la Résistance. François, le dernier des trois enfants de l’ancien résistant, restera toujours discret sur ses origines familiales et, surtout, sur l’engagement de son père et la surprotection de sa mère, qui, encore « à la fin de l’adolescence, lui noue ses lacets ou le lave pendant qu’il lit dans la baignoire ». Car François Duprat est fou de lectures, doué d’une mémoire impressionnante. C’est ainsi un des rares militants d’extrême droite dans les années 1960 à posséder un vrai bagage intellectuel et qui, même s’il a un courage physique reconnu dans les « bastons » au Quartier latin avec les étudiants communistes, n’est pas seulement, à la différence de la plupart de ses camarades du mouvement Occident, un adepte de la barre de fer.

Un mouvement qu’il contribue à fonder – avant d’en être exclu manu militari pour avoir dénoncé les membres d’un commando qui, à Rouen en 1967, a envoyé à l’hôpital un étudiant de gauche, le crâne défoncé à coups de clé anglaise –, et dont l’un des slogans annonce la couleur : «  Bolchos, ne vous cassez pas la tête, Occident s’en charge ! » Violent donc, férocement anticommuniste, ce mouvement mêlait racisme et antisémitisme dans ses bulletins et compta parmi ses membres des jeunes gens promis à un brillant avenir : Patrick Devedjian, Gérard Longuet, Alain Madelin, Hervé Novelli, Patrice Gélinet, Xavier Raufer, etc.
Le documentariste Joseph Beauregard et l’historien Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême droite [^2], avaient déjà réalisé un webdocumentaire sur la vie, les engagements et les fourberies de François Duprat, grâce à une double narration où se juxtaposaient son existence « officielle » et son « monde de l’ombre » [^3]. Le fruit de plus de quatre ans d’enquête minutieuse, avec plus de cent vingt témoins interrogés et nombre d’archives policières et judiciaires dépouillées, souvent inédites (quand on ne leur en refusait pas l’accès). Ils publient ainsi une biographie fouillée et précise de François Duprat, remarquablement rédigée, où ils peuvent étayer et surtout multiplier les révélations sur celui qui, si souvent, s’inventa des pans d’existence imaginaire, tronquant ou caviardant la réalité, obnubilé qu’il était par les complots, les doubles ou triples jeux, les influences en sous-main et, en particulier, les activités des services secrets.

C’est que, comme le prouve ce livre dense, François Duprat fut, dès sa prime jeunesse, arrêté et poursuivi pour ses activités politiques, mauvais pas dont il se tira en devenant indicateur de la police judiciaire. Son attrait pour le « monde des services, aventures entre subversion et antisubversion » , se double de celui pour «  l’action secrète, le souhait qu’une frange marginale puisse capturer l’État » . C’est bien par là qu’il « est venu à l’action politique » .

Dès lors, ce « goût et ce rêve ne vont plus le quitter » . Toute sa vie, il multiplie les collaborations à diverses revues plus ou moins confidentielles au sein de l’extrême droite, mais aussi à diverses officines liées à des services de renseignement qui financent les campagnes de tout ce qui s’oppose d’une manière ou d’une autre au PCF, jusqu’à parfois… François Mitterrand ! Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard dévoilent la vie trouble et troublée de celui qui, comme numéro deux du Front national, finit par être assassiné en mars 1978. L’attentat à la bombe, laquelle était placée sous le siège de sa voiture, ne sera jamais élucidé.

Les auteurs de l’ouvrage écartent de nombreuses hypothèses fantaisistes, comme celle qui incriminait le Mossad contre cet introducteur du négationnisme, ou celle d’une action de certains groupes gauchistes contre ce néofasciste, membre de la Ligue internationale anticommuniste. Leur ouvrage pourrait bien devenir un classique sur l’extrême droite de ces années-là.

[^2]: Auteur de l’ouvrage Le monde vu de la plus extrême droite. Du fascisme au nationalisme révolutionnaire, (Presses universitaires de Perpignan, 2010). Cf. Politis n° 1134 du 6 janvier 2011.

[^3]: Cf. Politis n° 1143 du 7 avril 2011

Idées
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