L’abandon des autistes adultes

Alors que la journée mondiale de l’autisme se tient le 2 avril, la France demeure sous-équipée pour les personnes au-delà de 18 ans, contraints de rester dans leur famille ou de s’exiler.

Noëlle Guillon  • 29 mars 2012 abonné·es

«C’est une maladie en France d’oublier que les enfants autistes deviennent des adultes ! s’offusque Pierre Toureille, père d’une autiste de 39 ans et cofondateur de Pro Aid Autisme. S’imagine-t-on qu’ils meurent jeunes ? » Que leurs parents sont éternels ? Ou que les autistes deviennent autonomes à 18 ans quand seuls 15 à 20 % pourront espérer se débrouiller seuls s’ils ont été diagnostiqués tôt et correctement suivis ? L’autisme a été déclaré grande cause nationale 2012 mais, sur la prise en charge des adultes, c’est le grand silence. Le manque de solutions pour eux et leur famille engendre une souffrance et un isolement dont on peine à mesurer l’ampleur. Leur nombre même est inconnu : ils seraient entre 300 000 et 500 000. Comment expliquer une telle impasse ?

Début avril, le gouvernement s’apprête à lancer son 3e plan autisme depuis 2008. Dans son rapport d’évaluation du 2e plan, Valérie Létard, sénatrice du Nord, demande la conduite d’études épidémiologiques. Surtout, elle signale que les adultes n’ont pas assez bénéficié des efforts déployés. Le manque de places en établissements spécialisés reste criant. Nombreux demeurent dans leur famille ou dans des établissements non adaptés. Le 2e plan prévoyait la création de 4 100 places, dont la moitié pour les adultes. « 63 % de ces places ont été ouvertes pour les enfants, seulement 17 % pour les adultes », regrette Sabine Fourcade, directrice générale de la Cohésion sociale au ministère des Solidarités.

L’autisme, maladie neurologique d’origine génétique suspectée, se distingue des troubles mentaux par une triade de symptômes : troubles de la communication, altération des interactions sociales et comportements stéréotypés. Cette définition englobe un spectre large, et l’autisme peut être accompagné de retard mental ou d’autres troubles. Le trouble autistique doit être distingué du syndrome d’Asperger, illustré dans le film Rain Man, où le malade présente des compétences accrues dans certains domaines. Il est plus communément admis de parler d’autismes, de syndromes autistiques ou de troubles envahissants du développement.

L’un des enjeux du 3e plan autisme sera de développer des offres de diagnostic homogènes, à l’heure où certains médecins peinent encore à déceler correctement cette pathologie. L’accent devra être mis sur un diagnostic précoce chez l’enfant mais aussi sur un meilleur repérage chez l’adulte, avec plus de centres dédiés.

Conséquence : « 60 % des internements en hôpital psychiatrique de plus de trente jours concernent des adultes autistes », rappelle Daniel Fasquelle, député du Pas-de-Calais et président du groupe parlementaire sur l’autisme. Une situation intenable marquée par la surmédication mais aussi par un gaspillage économique. Le Conseil économique et social a d’ailleurs été saisi pour évaluer le coût de la non-prise en charge de l’autisme. En effet, une journée en hôpital psychiatrique peut être facturée jusqu’à 1 000 euros à l’assurance-maladie quand une journée dans un établissement médico-social adapté ne coûte pas plus de 300 euros, majoritairement financés par l’aide sociale des départements. La volonté d’opérer un basculement du sanitaire vers le médico-social est rendue impossible par le désengagement de l’État : si, pour les adultes, le soin reste du ressort de l’assurance-maladie, la partie hébergement incombe aux conseils généraux, exsangues.

Le foyer d’accueil médicalisé Le Cèdre bleu, à Chaville (92), en fait les frais. Établissement rare dans son genre, il propose une prise en charge spécifique de l’autisme adulte. Celle-ci repose notamment sur une attention particulière portée à chacun grâce à des sous-unités de vie de 6 à 11 personnes. Sauf que, depuis sa fondation en 1998, sa situation se dégrade. « Le budget du conseil général baisse depuis deux ans , déplore sa directrice, Sylvie Brylinski. Il nous manque six postes d’éducateurs. Du coup, nous comblons avec des contrats aidés… »

Le rapport de Valérie Létard et les associations de familles préconisent précisément la création de petites unités de vie avec un fort taux d’encadrement. « Nous en sommes encore à créer au contraire des usines à gaz de quarante places !, s’indigne Sophie Feltrin, directrice adjointe du Cèdre bleu. Des pressions s’exercent pour favoriser les grosses structures, qui permettront des économies d’échelle… Mais il y a urgence devant le nombre de personnes sans solution ! » Combien sont-elles ? Pas de chiffres, là non plus. Rien que le Cèdre bleu compte déjà 180 noms sur sa liste d’attente.

Désespérées, certaines familles sont obligées de placer leurs enfants dans des institutions en Belgique, où ils restent en général toute leur vie. « Exil forcé comme alternative à l’abandon… » , condamnait le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dans son avis n° 102 sur « la situation en France des personnes […] atteintes d’autisme » . Il recensait alors 3 500 enfants et adultes autistes accueillis en Wallonie. C’était en 2007… Selon le CCNE, le traitement que la France réserve aux plus vulnérables n’est pas un problème économique mais culturel : autistes, handicapés, sans-abri, sans-papiers, même combat. En Suède, l’absence d’insertion sociale est considérée comme une maltraitance et une atteinte aux droits civiques.

Société
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