MES : une chouette usine à dette

Le Mécanisme européen de stabilité, qui divise la gauche, pourrait se révéler tout à fait idéal pour aggraver la crise européenne.

Thierry Brun  • 1 mars 2012 abonné·es

Une partie de la gauche a voté contre la création d’un Mécanisme européen de stabilité (MES). Ce fonds de solidarité entre les États, censé apporter, « sous une stricte conditionnalité de politique économique » , un soutien aux membres ayant de graves difficultés de financement, est fortement contesté, au point que le Front de gauche veut déposer un recours devant le Conseil constitutionnel pour bloquer la procédure de ratification du traité instituant ce MES. Les ­députés et sénateurs d’Europe Écologie-Les Verts sont aussi opposés à cette ratification. Au Parti socialiste, quinze députés ont voté contre les deux projets de loi qui l’autorisent.

Principal argument des opposants, le MES ne fera qu’aggraver les difficultés rencontrées par certains États de l’Union et fragiliser un peu plus la zone euro. Jean-Luc Mélenchon invoque un traité « étroitement articulé avec l’autre traité sur la stabilité budgétaire » , c’est-à-dire le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union (TSCG), qui institue la « règle d’or » d’équilibre budgétaire. Celui-ci « prévoit des plans d’austérité impératifs et leur mise en œuvre autoritaire par la troïka BCE-Commission européenne-FMI. Il introduit ainsi le FMI dans le fonctionnement d’un mécanisme communautaire européen » . La sénatrice socialiste Marie-Noëlle Lienemann, dans une lettre adressée aux membres du groupe socialiste du Sénat, estime que les textes instaurant le MES « ne constituent pas une avancée de la solidarité européenne. […] Les versements des aides issues de ce fonds seront conditionnés à la ratification du traité de discipline budgétaire (traité “Merkozy” ou TSCG) par ceux qui les demanderont ! »

Une autre raison pousse une partie de la gauche à s’opposer au MES. Une étude d’impact ­réalisée par le ministère des Affaires étrangères et européennes indique que la France doit trouver 16,3 milliards d’euros dans l’immédiat pour alimenter le capital du fonds, et jusqu’à 142,7 milliards pour sa quote-part dans la souscription au capital du MES, qui devra disposer de 700 milliards. Le hic est qu’en cas de flambée spéculative et d’aggravation de la crise en Grèce, en Irlande, en Espagne, au Portugal et en Italie, le fonds devra très vite mobiliser la totalité de ses ressources. Or, « les membres du MES s’engagent de manière irrévocable et inconditionnelle à fournir leur contribution au capital social autorisé » , rappelle l’étude du ministère.

Les États membres du fonds, qu’ils soient ou non en difficulté, devront donc s’endetter sur les marchés financiers, pour des sommes colossales, tout respectant les critères de retour à l’équilibre budgétaire du TSCG. Le MES sera, de plus, autorisé à emprunter sur les marchés financiers trois ou quatre fois son capital, des sommes qui engageront des États déjà soumis à la défiance des marchés.
Parmi les pays adhérents au MES, seuls l’Allemagne et les Pays-Bas ont encore leur triple A. Comment le MES remboursera-t-il sa dette si les pays contributeurs sont en difficulté et si les taux d’intérêt grimpent ? Dans ces conditions, comment respecter la nouvelle règle d’or d’équilibre budgétaire imposée aux États de la zone euro, qui limite le déficit public annuel à… 0,5 % du PIB ? Les concepteurs de ce mécanisme n’ont pas de réponse à ces questions.

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