Saucisson pour tout le monde !

Denis Sieffert  • 15 mars 2012 abonné·es

Le discours de Villepinte n’a pas dissipé, c’est le moins que l’on puisse dire, les craintes nées après la violente diatribe de Marseille, trois semaines auparavant. Contrairement à ce qui est dit ici ou là, Nicolas Sarkozy n’a pas parlé de l’Europe. Il a parlé encore et toujours des étrangers. L’Europe n’étant ici que prétexte. Lorsque le candidat affirme qu’il veut une « Europe qui protège » , il ne parle pas de protection sociale, cette protection sociale qu’il démantèle allègrement depuis 2007, avec l’alibi européen. C’est de « l’étranger » qu’il faut se protéger.

Ce qui fait le malheur de nos pays, ce n’est pas le dumping social, y compris au sein même de l’Union européenne, c’est l’immigré malien ou marocain. C’est l’étranger passé par « la frontière gréco-turque ». Le chômage ne résulte pas des délocalisations, c’est la faute de l’autre, venu d’ailleurs, pour manger le pain des Français. Ce ne sont pas les mouvements erratiques de capitaux, aux visées purement spéculatives, c’est l’Arabe ou l’Africain du sud du Sahara. Celui-là, c’est l’« étranger », condamné à le rester toujours dans le discours de M. Sarkozy. Même devenu Français, s’il est musulman, et s’il mange –  vade retro, satana !  – de la viande halal. Voilà donc en quoi l’Europe pèche essentiellement ! Elle laisse entrer ces cultures exogènes. Dans son discours, Nicolas Sarkozy passe d’ailleurs sans beaucoup de transition du ­clandestin qui a échappé aux douaniers de l’espace Schengen au gamin qui ne mange pas « le même menu que les autres » à la cantine. Saucisson pour tout le monde !

Quel amalgame, et quelle nouveauté ! Nicolas Sarkozy devrait lire à cet égard les mémoires de Théo Klein, qui relate ses souvenirs d’enfant juif d’avant-guerre [^2]. Quand l’école républicaine s’accommodait d’absences le samedi, jour du shabbat, sans instruire de procès en « communautarisme ». Il est vrai que, quelques années plus tard, d’autres au sein des élites françaises se chargèrent de l’instruire à leur façon… Quant à Schengen, parlons-en ! Dans un accès de démagogie sans bornes, le président-candidat menace de faire sortir la France de cet espace européen de libre circulation. François Bayrou n’a pas tort de souligner qu’on imagine mal notre pays rétablissant seul des services de douane et des barrières à nos frontières. Mais il y a plus insidieux encore. Toutes les statistiques le disent : l’immense majorité des « irréguliers » qui sont dans notre pays sont en réalité entrés régulièrement. Ils ne sont pas des « clandestins ». Ce sont les titres de séjour qui leur ont été refusés, parfois même s’ils ont du travail, ou s’ils ont un conjoint français, qui font d’eux, après coup, des « irréguliers ». L’affaire des frontières européennes n’est donc que marginale. Elle ne mériterait guère que l’on s’y attarde si elle n’était devenue un sujet prioritaire pour la droite extrême et l’extrême droite. C’est la France des chevaux de frise que M. Sarkozy nous promet.

Mais ce n’est pas le seul sujet d’inquiétude. Le candidat a renouvelé, dimanche, son attaque contre les syndicats et les corps intermédiaires, qu’il a fait huer par la foule, peu regardante. Pour les réduire au silence, il prévoit, s’il est réélu, de gouverner par référendum. Étrangement, quand il y aurait eu lieu de consulter les Français, sur la ratification du traité de Lisbonne, en 2010, par exemple, il n’a pas été question de référendum. Et pas davantage quand il s’agit d’un traité (le trop discret traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union) qui risque de nous priver pour l’avenir de tout choix économique et social. Mais s’il s’agit de faire taire les syndicats, il n’y a pas d’hésitation : référendum ! Où donc conduit cet arbitraire, sinon à un pouvoir personnel ? Si l’on ajoute le mépris affiché pour la Justice –  « On ne va tout de même pas laisser aux tribunaux la question des immigrés »  –, on a un tableau qui suscite moins l’inquiétude que l’effroi. Nicolas Sarkozy se propose de faire table rase de tout ce qui réduirait son pouvoir. On est à l’exact opposé de ce que suggère le constitutionnaliste Dominique Rousseau, dans l’entretien qu’il a accordé à Michel Soudais (voir notre dossier). Le candidat-président écrit son « projet » au verso de toute conception moderne de la démocratie, qui devrait développer au contraire les instances et les temps de consultation et de négociation.

Cette haine des corps intermédiaires n’est guère étonnante de la part d’un homme qui vit toujours son mandat présidentiel comme une aventure personnelle. Le seul moment où il s’est véritablement tourné vers le passé, dimanche, cela n’a pas été pour dresser un bilan politique de son quinquennat, mais pour implorer la compassion des Français : « J’ai tout donné. » Les Français seraient en droit de lui répondre : c’est bien le moins quand on est président de la République. Mais pour quel résultat ? 

[^2]: Le Manifeste d’un Juif libre (2002, Liana Levi).

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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