Secteur public : une production sous-estimée

Christophe Ramaux  • 8 mars 2012 abonné·es

Derrière l’agitation libérale autour de la dette publique, c’est la légitimité même de l’intervention publique qui est visée. C’est elle qu’il importe donc de réhabiliter si l’on souhaite engager la contre-offensive.

Plusieurs arguments plaident en ce sens. La dépense publique s’est élevée à 1 095 milliards d’euros en 2010, soit plus de 50 % du PIB (56,6 % en 2010 mais 52,6 % en 2007, où l’on voit l’effet de la récession).

Trop souvent, on en déduit que plus de la moitié de la richesse est « prélevée par le public pour financer des fonctionnaires improductifs » . Or, c’est faux. En fait, la moitié de cette dépense va au privé : 378 milliards correspondent à des prestations sociales en espèces (retraites, allocations chômage, familiales…) versées aux ménages, lesquels les dépensent ensuite essentiellement auprès du privé, et 181 milliards correspondent à des prestations sociales en nature qui ne font que rembourser des dépenses engagées auprès du privé (consultation de médecine libérale, allocation logement pour couvrir une partie des loyers…).

L’autre moitié de la dépense publique sert effectivement à la production des services publics : 130 milliards de biens et services non-marchands individualisables (éducation, hôpital public, culture…) et 169 milliards non individualisables (justice, police…). S’y ajoutent l’investissement public (59 milliards) ainsi que divers postes comme le paiement des intérêts
de la dette publique (48 milliards), les subventions à l’Europe…
On ne le dira jamais assez : les fonctionnaires ne créent pas seulement des valeurs d’usage (l’utilité de l’enseignement, par exemple), ils créent simultanément de la richesse monétaire et contribuent au PIB. En 2010, la valeur ajoutée des administrations publiques s’est élevée à 318 milliards. Cela équivaut à un tiers de la valeur ajoutée (973 milliards) des sociétés non financières (SNF). C’est considérable et rarement perçu comme tel : les fonctionnaires produisent un tiers de ce que produisent les salariés des SNF[[Pour arriver au PIB, il faut ajouter d’autres éléments :
la valeur ajoutée par les ménages (331 milliards) avec notamment les entrepreneurs individuels, celle des sociétés financières (86 milliards)…]] !

Sur une longue période, ce rapport entre la valeur ajoutée par les administrations et celle des SNF a plutôt augmenté : d’un quart durant les Trente Glorieuses, il a fortement grimpé entre 1973 et 1982, pour se stabiliser depuis lors à un tiers. L’État social n’a décidément pas disparu.

La production des SNF intègre celle des entreprises publiques (SNCF, EDF, La Poste…) puisque celles-ci vivent de la vente de leur production et non de l’impôt. La comptabilité nationale n’isole plus, malheureusement, ces entreprises publiques. On estime toutefois qu’elles assument environ 5 % de leur valeur ajoutée des SNF. En les réintégrant dans le public, la part de celui-ci augmente d’autant : sa valeur ajoutée (administrations + entreprises publiques) est finalement égale à 38 % des SNF privées, lesquelles correspondent grosso modo aux entreprises capitalistes (hors secteur financier). L’État social n’a pas disparu. Mais le néolibéralisme, avec en l’occurrence les privatisations, a bel et bien été appliqué : en 1982, à la suite des nationalisations, ce rapport était de l’ordre de 75 %.

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