A la recherche de la gauche

Un collectif de sociologues se réclamant de Pierre Bourdieu dessine ce que serait une politique exigeante et résistante.

Olivier Doubre  • 26 avril 2012 abonné·es

Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, force est de constater l’absence ou, du moins, la grande discrétion des intellectuels français au cours de cette campagne. Se réclamant sans ambiguïté de Pierre Bourdieu, dont certains furent proches en son temps, un groupe de sociologues critiques a pourtant souhaité renouer avec la tradition de « l’intellectuel spécifique » : « s’invitant » dans le débat, ils se sont attelés à un « exercice de militantisme intellectuel ».

D’emblée, ils se définissent comme appartenant à une « gauche de gauche », faisant leur cette « sorte de saine tautologie » (selon Louis Pinto dans son introduction) par laquelle Pierre Bourdieu avait voulu « échapper à l’usage routinier des mots » et, sans choisir un parti ou un courant, « dire les conditions de possibilité d’attribution d’un label “de gauche” à un discours ». Même s’ils n’hésitent pas à reconnaître, en tant que chercheurs « plus familiers avec la description et l’explication du réel qu’avec l’élaboration de programmes », n’être « pas à l’aise dans une conjoncture électorale »…

Ils se sont d’abord fixé pour tâche, chacun, d’« établir un diagnostic synthétique de l’état des choses dans un domaine de leur compétence » pour mieux « énumérer un certain nombre de points qui leur semblent décisifs pour ce que pourrait être une politique de gauche », autant en matière d’éducation, de recherche ou d’enseignement supérieur (Bertrand Geay, Samuel Bouron, Pierre Clément ou Louis Pinto), de démocratie locale (Michel Koebel), de santé (Frédéric Pierru), de justice (Laurent Willemez), de lutte contre la délinquance (Gérard Mauger) que de démocratie sociale (Sophie Béroud et Karel Yon)… Se refusant à « désespérer » face à l’alternative « récurrente » entre le discours d’une social-démocratie « raisonnable et réaliste » – qui dissimule (mal) l’acceptation des « présupposés de l’économie mondialisée et déréglementée », une certaine « condescendance pour les classes populaires » et un vrai « mépris pour les intellectuels “radicaux” » – et le discours « incantatoire » de certains « anticapitalistes », la quinzaine de sociologues réunis pour ce volume n’ont pas adopté une posture que les tenants de la gauche de gouvernement qualifient souvent de « maximaliste ». Au contraire. Loin du rôle d’experts patentés et médiatiques, ils entendent « favoriser sur des points précis la formulation de principes d’action en deçà desquels une gauche digne de ce nom ne pourrait que se déjuger ».

Après plusieurs décennies d’hégémonie culturelle néolibérale couplée aux discours sécuritaires les plus réactionnaires, puisque souvent les plus simplistes, on est surpris par certaines des analyses et des propositions avancées dans cet ouvrage. On doit ainsi saluer la remarquable contribution d’Emmanuel Blanchard et d’Alexis Spire sur la question si centrale – et si instrumentalisée – des politiques d’immigration. Pour eux, il incomberait avant tout de « remettre les droits des étrangers » au centre de toutes ces politiques. En rappelant en premier lieu que, si la « gauche de gouvernement », « tétanisée » par la progression du Front national, a depuis longtemps fait sienne, bon gré mal gré, cette « pensée d’État » qui découle d’une seule vision « utilitariste » de l’immigration, synonyme en période de crise de « fermeture sélective des frontières » débouchant sur une véritable ségrégation, la « première tâche d’une politique de gauche » en la matière serait de « reformuler la question de l’immigration à l’aune des droits de chaque individu à circuler et à être protégé par un État dont il n’a pas la nationalité ». Donc à défendre le droit, ô combien fondamental, « de quitter son pays ».

Au regard des résultats de dimanche dernier et du programme de François Hollande (qui continue de défendre l’examen « au cas par cas » de la situation des sans-papiers), il est à craindre qu’en cas de victoire du candidat du Parti socialiste une telle approche demeure lointaine. Les intellectuels servent aussi à cela : à rappeler certaines évidences !

Idées
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