« Avé », de Konstantin Bojanov : sur la route, version bulgare

Avé, de Konstantin Bojanov, est un road-movie qui met en scène une fille et un garçon sans destination.

Christophe Kantcheff  • 26 avril 2012
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Avé commence par un panoramique sur la ville de Sofia. Ce mouvement de caméra porte en soi une révélation. Sans doute la capitale bulgare a-t-elle été maintes fois filmée, mais elle est beaucoup plus rarement montrée sur des écrans français, pourtant réputés à juste titre comme étant les plus accueillants aux cinématographies du monde entier. Il faut croire que le cinéma bulgare s’exporte mal, ou qu’il intéresse peu nos distributeurs.

Au demeurant, Sofia, filmée dans la brume d’un petit matin, ressemble à une grosse ville de province, avec des alignements d’arbres, des espaces verts et de nombreuses petites tours HLM. Une ville qui inspire la tranquillité, voire l’ennui, où Kamen (Ovanes Torosyan) étudie dans une école d’art. Mais, d’emblée, le quotidien du jeune homme se voit modifier par l’annonce qui lui est faite. L’un de ses amis, étudiant comme lui, vient de se suicider.
Kamen prend aussitôt la route. Destination : Roussé, dans le nord du pays, ville natale de son ami, où a lieu l’enterrement. Très vite, il croise une autre auto-stoppeuse, Avé (Anjela Nedyalkova), une jeune fugueuse de 17 ans. Elle s’accroche à lui, et ils finissent par voyager ensemble. Avé est un road-movie dont les deux protagonistes ne manifestent pas de motivations profondes à se déplacer.

Kamen a mis à son bras la montre que son ami disparu lui avait donnée. Elle est cassée. Les aiguilles ont disparu. Cette image du temps non pas bloqué mais sans substance, en suspension, correspond à ce qui semble gouverner Kamen et Avé. Ils ne sont pas désœuvrés, ni, au contraire, poussés par une aspiration ou un espoir particuliers, mais dans une forme de disponibilité flottante et un peu triste, sans horizon. « En quoi c’est héroïque de vivre comme ça, d’aller d’un point B à un point A ? », dit à un moment Kamen. Pour autant, Avé ne lorgne pas du côté du cinéma social.

Le film scrute davantage un état d’âmes. Et la manière tortueuse et paradoxale dont la fille et le garçon vont se rapprocher l’un de l’autre, au point de tomber ­amoureux. Konstantin Bojanov joue sur les antagonismes de caractère, ce qui donne lieu à quelques scènes délicieusement drôles.
Alors que Kamen est un introverti qui n’imagine pas dire autre chose que ce qui est, Avé est une fieffée menteuse ou, dit autrement, une jeune fille qui s’évade dans l’invention, ou qui trouve une contenance en racontant ce qui lui passe par la tête. Elle entraîne parfois Kamen dans les rets de ses fables, qui la désavoue avec véhémence. L’une des belles idées du film réside dans le fait qu’il arrivera un moment où Kamen comprendra les mensonges d’Avé – parce que, utilisés à bon escient, ils peuvent faire du bien – et même les reproduira.

Avé et Kamen forment un joli couple de cinéma, fragile, non adéquat, vibrant de tendresse. La fille et le garçon s’apprivoisent à travers plusieurs scènes très réussies : quand ils vont dormir dans un car abandonné et qu’il la serre pour la première fois dans ses bras ; quand elle lui raconte l’histoire de son frère drogué, et que l’on sent qu’elle lui dit cette fois-ci la vérité ; quand ils traversent une rivière sur un bac, et qu’ils semblent tous les deux très loin, de l’autre côté du monde ; quand ils vont faire l’amour dans une chambre d’hôtel et qu’elle lui demande timidement d’éteindre la lumière.
Kamen et Avé ne sont pas arrivés à temps pour assister à l’enterrement du jeune suicidé. Mais ils participent au dîner de deuil avec la famille, véritable terme de ce road-movie.

Finalement, Avé met en scène une certaine façon de vouloir continuer à vivre, de la part d’une jeunesse pourtant seule et désenchantée.

Culture
Temps de lecture : 4 minutes
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