Mélenchon, nouvelle dimension

Avec 15 % d’intentions de vote, le candidat a vu sa campagne changer de nature. Ce qui confère au candidat une nouvelle épaisseur. Celle du troisième homme ?

Pauline Graulle  • 12 avril 2012 abonné·es

Plus qu’un changement d’échelle, un changement de nature. Cela faisait plus d’un mois qu’on n’avait pas suivi le candidat du Front de gauche dans ses déplacements en région. L’évolution est patente. Les files d’attente à l’entrée des meetings se sont considérablement allongées. Au point qu’il faut aménager des écrans géants sur les places et parkings alentour.
C’était le cas mercredi 4 avril, à Limoges (6 000 personnes à l’intérieur du Zénith, 3 000 dehors), et à Toulouse le lendemain, où les 70 000 spectateurs annoncés ont débordé de la place du Capitole pour prendre d’assaut les places et rues adjacentes.

Autre signe manifeste que « quelque chose » s’est passé : les médias ont rappliqué en nombre. « Lorsque j’ai commencé à suivre Mélenchon en 2009, on était trois », raconte Mina Kaci. La journaliste à l’Humanité se souvient d’un conseil national du Parti de gauche où elle était seule à la table de presse. Trois ans plus tard, 230 journalistes, presse écrite, TV, radios, étaient au rendez-vous de la Bastille, le 18 mars dernier.

Le banc de poissons des journalistes qui suit le candidat depuis son entrée en campagne s’est étoffé, passant d’une petite vingtaine à une bonne centaine pour les « gros » meetings. Dorénavant, même la presse étrangère s’en mêle. La BBC s’est déplacée pour aller filmer un meeting à… Vierzon, le Guardian se penche sur ce « poetry-loving pitbull » (« pitbull amateur de poésie ») qui ­­« galvanise les élections françaises », et le New York Times s’étonne de ces foules qui chantent « l’Internationale ».

Quand le Front de gauche a-t-il pris le virage ? « On a été surpris nous-mêmes que ça se cristallise si rapidement, c’est spectaculaire », concède Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste. Mina Kaci parle d’une montée en puissance progressive. « Chaque meeting a fait venir des populations différentes – ouvriers, jeunes, personnes issues de l’immigration, etc. – qui se sont agrégées les unes aux autres », analyse-t-elle tout en égrainant les événements charnières : l’émission « Des paroles et des actes » (le 12 janvier), le meeting de Nantes, la « prise de la Bastille »… Et puis, le 23 mars, BVA qui place Mélenchon en ­troisième homme, devant Bayrou et Le Pen.

Depuis ce jour, dans l’entourage du candidat, on a subitement arrêté de vouer aux gémonies les instituts de sondage. Certes, on continue à se méfier des « PMU » et autres « carabistouilles », comme les appelle Mélenchon. « On ne cherche pas à faire du chiffre », répète Pierre Laurent.
Mais depuis que Mélenchon est passé de 7 à 15 % des intentions de vote au premier tour, sa candidature est prise beaucoup plus au sérieux. Les éditorialistes se sont mis à décortiquer le programme. Les attaques des adversaires se font plus virulentes. Après le socialiste Gérard Collomb rhabillant Mélenchon en Pol Pot (le maire de Lyon a, depuis, retiré ses propos), le sénateur EELV Jean-Vincent Placé le compare à un Georges Marchais « conservateur » et « clientéliste »…

Bref, la donne a changé. Et aussi, un peu, le candidat. À la tribune du Zénith de Limoges, celui-ci semble moins gouailleur, plus grave. Il se donne davantage le temps de détailler le programme. Comme s’il prenait peu à peu la mesure de l’enjeu. « On sent qu’il est en train de prendre une stature d’homme d’État », commente un journaliste. De la hauteur en tout cas. Au risque de l’isolement ?

D’aucuns s’en plaignent. Celui qui ne peut plus prendre tranquillement le métro préfère aujourd’hui sa petite camionnette aux grands cars dans lesquels, il y a une poignée de jours encore, il voyageait dans une ambiance bon enfant en compagnie des journalistes. Certains photographes se plaignent de ne plus pouvoir le « shooter » librement…

« Il s’est coupé de ses relations informelles avec la presse pour se préserver », constate Lilian Alemagna, coauteur avec Stéphane Alliès de Mélenchon le plébéien (Robert Laffont, 2012). « On fait trois meetings par semaine, il faut le temps d’écrire les discours… L’emploi du temps se resserre, c’est tout », plaide Éric Coquerel, conseiller spécial du candidat.

Dans son entourage, on n’en est pas encore à imaginer « Jean-Luc » en « deuxième homme ». « De peur de déprimer si on fait 12 % », sourit un membre de son staff. « On ne s’arrêtera pas à 15 % », veut néanmoins croire Éric Coquerel, qui affirme que « le plus beau débat sera celui entre Sarkozy et Mélenchon ».

En attendant, il s’agit de « ne pas se laisser griser, mais intimider non plus : le terrain, mètre par mètre », martelait Jean-Luc Mélenchon à Limoges. « On est en train de revivre 2005 et la mobilisation autour du traité constitutionnel européen », s’enthousiasme une proche. Une même dynamique, sans doute. Le même dénouement ?

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