« Pas d’anticipation, tout à flux tendus »

Syndicats de magistrats et de policiers ensemble contre la dégradation de leurs missions.

Ingrid Merckx  • 19 avril 2012 abonné·es

C’est une première : plusieurs syndicats de professionnels de la chaîne pénale se sont associés pour rédiger un texte visant à « Penser autrement la sécurité et la justice ». Les explications de Jean-Marc Bailleul.

Quel est l’objet de ce texte ?

Jean-Marc Bailleul : Juges d’instruction, magistrats, greffiers, directeurs de prison, experts, traducteurs, policiers… les professionnels qui constituent la chaîne pénale, de l’interpellation à la comparution, partagent ce constat : nous n’avons plus les moyens d’exercer nos missions. Isolés chacun de notre côté, on s’est aperçu qu’on avait les mêmes problèmes. Les deux syndicats moteurs sont l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat national des officiers de police (Snop), qui ont un regard sur l’ensemble de la chaîne. S’y sont greffés experts et traducteurs, des professionnels avec lesquels on travaille quotidiennement et qui, parfois, ne sont plus payés depuis des mois, voire des années. Ce qui a des conséquences sur les affaires : on peut se retrouver à garder quelqu’un plus longtemps en garde à vue parce qu’on attend un interprète… Nous rencontrons des problèmes matériels (manque de véhicules, par exemple) mais le problème numéro un reste les réductions d’effectifs. On a besoin de personnels formés. Rien n’est anticipé, tout se fait à flux tendus. Ce qui génère de l’insatisfaction du côté des professionnels et des citoyens.

La situation s’est-elle dégradée brutalement ?

Elle s’est dégradée progressivement ces quelques dernières années. Le politique peut mettre en avant des augmentations de budget dans certains domaines mais, dans le même temps, certaines réformes ont engendré des coûts supplémentaires. On a gagné d’un côté ce qu’on a perdu de l’autre. Les tribunaux explosent et sont obligés de faire du tri : l’impossibilité de faire face au quantitatif a des conséquences sur le qualitatif. Le catalyseur a été l’affaire de Pornic, l’année dernière, quand le pouvoir a mis en cause les fonctionnaires de l’administration judiciaire, policière et militaire, alors que c’était un problème de moyens, notamment humains, qui avait occasionné des dysfonctionnements graves.

Pour que la chaîne pénale puisse mieux fonctionner, il faudrait commencer par nous écouter. On avait demandé des états généraux du processus pénal. Idem au moment de la réforme de la garde à vue. On aurait ainsi évité ce qu’on constate aujourd’hui, un an après la réforme : les avocats se plaignent des horaires auxquels ils sont appelés, de la distance qu’ils ont à parcourir pour des affaires pas franchement intéressantes… Après Pornic, on a organisé un colloque sur la garde à vue et lancé un travail collectif. Il en est sorti ce texte, « Penser autrement la sécurité et la justice », qui contient une centaine de propositions. C’est la première fois qu’on arrive à se mettre tous autour d’une table pour dégager des problématiques qui ne sont pas catégorielles mais professionnelles. Nous nous sommes dit : cessons d’opposer policiers et magistrats et ce que nos ministères de tutelles ne font pas, faisons-le !

En quoi consiste la privatisation
des services ?

Dans le cadre de la RGPP, on diminue les effectifs de police, mais les charges restent les mêmes. Il faut donc transférer des tâches que nous reconnaissons comme indues. C’est le cas pour les polices d’audience : désormais, les audiences courantes dans les tribunaux ont recours à des services de sécurité privés. On avait proposé au contraire de créer une force de surveillance nationale… La sécurité et la justice doivent rester dans les fonctions régaliennes de l’État !

C’est pourquoi les polices municipales nous inquiètent : elles engendrent une sécurité à deux vitesses. Dans certaines villes, sur la Côte d’Azur par exemple, les policiers municipaux ont des uniformes et des activités qui créent la confusion avec la police nationale.
Justice des mineurs, justice financière, où sont les priorités ?
Par défaut de moyens, on est obligés de faire des choix. Mais c’est dommageable si cela favorise chez les citoyens l’apparition de sentiments tels que : le vol de mon scooter, c’est moins important que ­l’affaire Clearstream…

Société
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