Ridan : les délices d’un p’tit Beur

Madame la République, quatrième album de Ridan, prend la défense de l’humanité souffrante pour la réenchanter. Par un artiste « engageant ».

Christophe Kantcheff  • 19 avril 2012
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«Je suis le p’tit Arabe de la chanson française/Un bouffeur de couscous, le prénom à l’envers/Un vulgaire petit cancre comme l’aurait dit Prévert/Qui chante la vie des autres dans la langue de Molière » (« le Syndrome du P’tit Beur »).

Le « p’tit Arabe de la chanson française », c’est Ridan. Quatre albums au compteur, dont ce dernier, Madame la République. Avec un tel titre, et une pochette d’album qui arbore les trois couleurs du drapeau français, où le chanteur apparaît en sans-culotte, bonnet phrygien sur la tête, l’adresse est sans ambiguïté.

Comme Tahar Rahim, Leïla Bekhti ou Rabah Ameur-Zaïmèche au cinéma, Rachid Djaïdani en littérature, Ridan fait partie d’une nouvelle génération d’artistes issus, comme on dit, de la diversité. Ils ont conquis leur place dans le paysage culturel, pas toujours facilement, et ils la revendiquent. Ridan le fait avec force et non sans ironie, « Je suis le p’tit arabe de la chanson française »…

Mais Madame la République, sur ce sujet, va plus loin, plus large. Dans « le Syndrome du P’tit Beur », « les Enfants de colonies », « Un étrange étranger », ou encore dans la chanson éponyme, « Madame la République », le chanteur évoque « une petite fille voilée », raconte le fait de venir d’une « terre en faillite », affirme qu’il n’est « ni pute ni soumis »… Il se montre solidaire des « siens », c’est-à-dire de tous ceux qui, dans la société française, sont plus difficilement acceptés en raison de leur aspect, de leur origine, et de leur religion, l’islam. De ce fait, il en appelle à « Madame la République » pour qu’elle se montre davantage fidèle à elle-même, à ses valeurs et à sa devise.

On l’aura compris, Madame la République est un album combatif. D’autant qu’il survient dans les dernières semaines de la campagne électorale, s’ouvre sur un texte dit, dont le titre, « le Petit Malandrin », renvoie très clairement et sans pitié au président sortant, et que le chanteur ne cache pas son soutien à Jean-Luc Mélenchon. Mais chez Ridan, le combat s’affirme sans tension ni grincements. Madame la République est fait de mélodies tranquilles, simples et enjouées. Elles prennent souvent l’allure de ritournelles, égayées çà et là par des voix d’enfants, comme dans « le Manège enchanté », au refrain impeccable : « Elle est de retour la grève, tournicoti, tournicota/Elle est de retour la grève, on ne votera pas pour toi ! » C’est le cas également avec « Ah les salauds ! », sur les Le Pen et ceux qui, dans le gouvernement actuel ou chez les intellectuels, leur ont emboîté le pas. La teneur du titre présageait une forme plus agressive. C’est une des chansons les plus allègres du disque.

Dans l’entretien très politique que Ridan a accordé à Pascal Boniface, inséré dans le livret de l’album, le chanteur déclare : « Je ne suis pas un artiste engagé, j’aspire à ce que mes chansons soient engageantes. » La nuance peut paraître subtile ou n’être prétexte qu’à un jeu sur les mots. C’est pourtant exactement ce qu’on ressent à l’écoute de Madame la République.
L’exercice de dénonciation quasi obligé qui caractérise les chanteurs dits engagés s’efface ici au profit d’un joli travail sur la langue, d’un entrain où le narcissisme n’a pas sa place, et d’une inclination à la proposition généreuse et humaniste, sans jamais être niaise. Ridan fait entrer dans ses chansons toute l’humanité souffrante, les chômeurs, les travailleurs aux bas salaires, les immigrés, les sans-papiers, les retraités, les jeunes sans emploi, pour imaginer un monde de fraternité et de justice. Et quand il en envisage les « ennemis » – comme dans « Ali Baba et les CAC 40 valeurs » –, c’est toujours sans complaisance, mais avec humour.

« Sans chercher à convaincre, si j’arrive à casser des clichés et à changer le regard, j’en serai déjà heureux, dit Ridan à Pascal Boniface. Je pense qu’on ne mérite pas la période que l’on vit, ni intellectuellement, ni économiquement, ni historiquement. On ne vit pas les heures les plus belles de la République que je m’imagine. » La période réserve quand même de bonnes choses : un album de Ridan, par exemple.

Madame la République, Ridan, les Fleurs, le béton.
Culture
Temps de lecture : 4 minutes
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