Santé : état critique

Le système de soins français, si performant socialement, est malade. Mais les deux principaux candidats préfèrent passer cette urgence sous silence.

Ingrid Merckx  • 5 avril 2012 abonné·es

Le « trou de la Sécu », la crise de l’hôpital, les 15 millions de malades chroniques, les déserts médicaux, le prix des mutuelles et les dépassements d’honoraires, les maladies infectieuses, les étrangers malades, l’indigence des services de psychiatrie, la lourde problématique de la dépendance et les scandales sanitaires – grippe A H1N1, Mediator et prothèses PIP… Le 15 septembre, 123 personnalités ont publié un Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire (Odile Jacob), appelant à anticiper l’explosion d’un système qui fait la fierté de la France depuis 1945.

Quand on sait qu’aujourd’hui un Français sur cinq renonce à des soins médicaux pour des raisons financières, la nécessité de mettre la santé au premier plan de la présidentielle 2012 apparaît comme une évidence. Pourtant, pas un mot, si ce n’est la légalisation de l’euthanasie, alors que la question de fond à ce propos serait surtout : pourquoi la loi Leonetti n’est-elle pas appliquée ?

« 75 % des Français estiment que la santé et la protection sociale ne constituent pas une priorité pour les candidats à l’élection présidentielle », révèle un sondage du 8 février de l’Institut Harris pour la Mutualité française. Enjeu prioritaire aux yeux de 57 % d’entre eux, après l’emploi (82 %) et le pouvoir d’achat (63 %), mais avant le logement (54 %) et les retraites (48 %).

Les clivages gauche-droite en la matière sont flagrants : quel financement pour quelle protection sociale ? Faut-il revenir à une prise en charge par l’assurance-maladie à 80, voire 100 %, ou booster les assurances privées ? Faut-il remettre en cause la tarification à l’activité à l’hôpital ou le droit à l’aide médicale d’État (AME) ? Ne serait-ce que sur le déficit de l’assurance-­maladie, Nicolas Sarkozy prétend qu’il l’a réduit de moitié, le Parti socialiste montre qu’il a grimpé de 8 à 23 milliards d’euros…

« Il y a des politiques qui rendent malades, réagissons ! », clame Médecins du monde (MDM) à travers une campagne lancée le 29 février : Votez Santé ! « Le système de santé français, longtemps présenté “comme le meilleur au monde”, est malade », alerte l’ONG, qui prescrit un traitement d’urgence : lever les obstacles administratifs et financiers aux soins, mettre en place une couverture maladie unique pour les plus précaires et supprimer les 30 euros d’accès à l’AME, harmoniser le seuil de pauvreté et le seuil d’accès à la CMU complémentaire, stopper les expulsions sans possibilité de relogement derrière, mettre à l’abri, sans conditions, les personnes à la rue, supprimer le délit de racolage passif, créer des dispositifs innovants pour les usagers de drogues…

« Quelle santé après 2012 ? », interroge également le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), qui a cerné « trois enjeux essentiels » : les difficultés économiques d’accès aux soins, à travers la question des dépassements d’honoraires ; les obstacles géographiques à l’accès aux soins, avec la désertification médicale ; le défi de l’équilibre budgétaire de l’assurance-maladie, avec comme priorité absolue le maintien du financement solidaire. Le Formindep, collectif pour une formation et une information médicale indépendante, a dégagé de son côté cinq points clés : transparence des liens d’intérêts des acteurs de santé ; indépendance de l’expertise, des autorités sanitaires et des soignants ; protection des lanceurs d’alerte ; actions de santé publique non fondées sur des données fiables et mainmise des firmes pharmaceutiques sur l’agence européenne du médicament.

Les programmes des partis s’en tiennent à des généralités ou à des points symboliques (maisons de médecins libéraux pour l’UMP, stopper la convergence public-privé pour le PS, remettre en cause les dépassements d’honoraires pour le Front de gauche), sans s’attaquer aux racines du mal. La Mutualité française a lancé un débat le 8 février à Paris. EELV, l’UMP, le PS, le MoDem et le Front de gauche s’étaient déplacés. Aucune proposition d’importance n’a émergé.