Cosmpolis, de Cronenberg : La chute des valeurs

Cosmopolis, une réflexion exigeante sur le vampirisme financier.

Christophe Kantcheff  • 31 mai 2012 abonné·es

« Où sont garées les limousines la nuit ? », interroge Eric Packer (Robert Pattinson, sorti de Twillight ), le jeune golden boy de Cosmopolis. Plus que jamais à Cannes, les films se répondent. Les limousines, la nuit, prennent le chemin d’ Holy Motors quand, le jour, elles traversent le nouveau film de David Cronenberg. Cette coïncidence n’en est pas tout à fait une, tant les deux films auscultent les écueils vertigineux sur lesquels échoue notre époque.

Cosmopolis, le film, retrouve l’atmosphère implacable et mortifère du roman de Don DeLillo paru en France en 2003 chez Actes Sud (disponible dans la collection de poche Babel). Il en reprend aussi, non sans fidélité, la profusion des dialogues, entrelacs de propos techno-cyniques ou cruellement lucides, parole folle, proliférante, qui enserre les personnages.

Alors que la limousine peine à avancer dans les encombrements de la circulation, Packer, détenteur d’un empire financier malgré son jeune âge, a décidé de traverser la ville pour se faire couper les cheveux. Un acte bénin, synonyme pourtant de descente aux enfers. La ruine ne tient-elle pas à presque rien ? Par exemple au yuan qui fait des siennes au mauvais moment, et voilà la fortune envolée !

Si le fait est rapide et brutal, le film a une évolution lente. Une progression suggérée avant tout par la mise en scène et les qualités plastiques dont Cronenberg, en grand styliste, fait preuve. Au début, filmé en plans serrés, dans le volume confiné de l’intérieur de la limousine, Packer vit, reçoit (une maîtresse, une théoricienne, un médecin…), travaille et baise, dans un environnement froid et high-tech, bardé d’écrans tactiles à tout faire.

Puis l’extérieur devient hostile, des émeutes enflamment New York, le rat devient l’emblème de la révolte sociale. La voiture est attaquée, taguée, défigurée, perdant ainsi sa blancheur pure et luxueuse. Enfin, Packer sort de la limousine alors qu’il est arrivé dans le quartier de son coiffeur : la nuit est tombée, les rues sont sinistres, une faille s’est ouverte en lui…

Contrairement à d’autres de ses confrères beaucoup moins subtils (voir notamment Wall Street, l’argent ne dort jamais, d’Oliver Stone), Cronenberg propose ici un geste cinématographique exigeant, qui mêle la réflexion existentielle à une critique politique radicale – le livre de DeLillo était de ce point de vue visionnaire. À travers un personnage a priori intouchable mais de chair et de sang, il trace un destin inéluctable, dont la logique renvoie à celle du capitalisme financier. Son développement est synonyme de destruction. Peut-être plus encore d’autodestruction.

Cinéma
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