Dépêchons-nous de rêver !

Denis Sieffert  • 10 mai 2012 abonné·es

Comme beaucoup de nos concitoyens, nous éprouvons au lendemain de cette présidentielle un vif soulagement. Le verdict des urnes nous épargne un second quinquennat qui aurait été une calamité et une menace immédiate pour la paix civile. À force de violence verbale, Nicolas Sarkozy avait fini par porter à incandescence les conflits qui sommeillent dans toute société en crise. Même son discours de dimanche soir, à la Mutualité, auquel beaucoup de commentateurs ont trouvé des vertus républicaines, n’a pas dissipé ce sentiment de malaise. Tout au contraire. Le candidat vaincu n’a parlé que de lui-même, de son itinéraire et de ses états d’âme. Espérons au moins que cet aventurier de la politique tiendra son ultime promesse et saura s’effacer sans retour.

Avant même toute considération politique, l’apparition, avec François Hollande, d’une personnalité qui dégage plutôt de l’empathie que de l’hostilité est déjà d’un grand réconfort. Le 6 mai, tout aurait pu être pire. Et cela valait bien une fête à la Bastille, et un moment d’ivresse collective. Il n’est jamais interdit de rêver. Mais, dimanche, personne n’était dupe. Certes, la victoire de François Hollande est sans appel. Il a d’ailleurs réalisé, à la décimale près, le même score que François Mitterrand en 1981. Mais Sarkozy n’est pas Giscard. Et on peut nourrir quelques inquiétudes devant ces 48 % en faveur d’un candidat qui a défendu les thèses xénophobes du Front national dans un crescendo pathétique.

D’autant plus que, loin de réduire le parti d’extrême droite, il l’a légitimé et renforcé. Si bien que pour dessiner un tableau fidèle de notre pays, il faut peut-être ajouter au score du président sortant une bonne part des deux millions de votes blancs ou nuls inspirés par Marine Le Pen. L’addition n’est pas électorale, mais elle est psychologique et culturelle. C’est donc peu dire que le paysage n’est pas réjouissant. Sans compter que la remontée du tandem Sarkozy-Buisson en fin de campagne peut encourager une partie de la droite à continuer de s’enfoncer dans les mêmes eaux fangeuses. Les Copé et autres Longuet sont prêts pour le bain de boue. On a donc le sentiment que le vote Hollande – auquel nous avons consenti sans hésitation – est comme un fusil à un coup. Que le nouveau président socialiste en vienne à manquer sa cible, et la suite serait dramatique.

Le Front national est tapi dans l’ombre. Ou, si ce n’est lui, c’est une droite recomposée qui ne vaudra pas mieux. La cible, on la connaît : c’est le chômage, la précarité et la misère. François Hollande peut-il l’atteindre ? En a-t-il la volonté ? Peut-il seulement convaincre certains de ses alter ego européens de mener ce combat avec lui ? Précipités dans une crise dont le pire est à venir, les peuples hésitent entre plusieurs chemins. Les législatives grecques, qui avaient lieu ce même 6 mai, traduisent plus dramatiquement encore que chez nous cette hésitation.

Côté lumière, il y a le score de Syriza, le « Front de gauche » grec, avec son jeune leader, Alexis Tsipras. Il a recueilli dimanche 16,7 % des voix. C’est Mélenchon qui passe devant Hollande… Mais, côté ombre, il y a les 7 % du parti néonazi, au nom faussement poétique qui glace les os : « Aube dorée ». Une situation qui s’apparente à celle de la France, mais avec plus d’acuité. Les peuples, pris à la gorge par le système, menacés dans leur existence même, humiliés par des élites économiques et financières, peuvent s’engager dans la révolte. Mais, excités par des démagogues sans scrupules, ils peuvent tout autant perdre la raison.

Certes, en France, la situation n’est pas aussi désespérée. Notre système social résiste encore, malgré les coups de boutoir subis au cours des dernières années. Et si nos socialistes ont beaucoup désespéré Billancourt par une idéologie européenne vide de tout contenu social, ils n’ont jamais mordu le trait en formant, comme en Grèce et comme en Allemagne, des gouvernements de coalition avec la droite. Ces coalitions de l’austérité et de l’injustice. Beaucoup dépendra donc des options que choisira la gauche. On pourrait remâcher un pronostic définitif et prédire qu’elle nous décevra, comme d’habitude !

Mais l’histoire bégaie moins que ne le suggérait Paul Valéry. La politique est la résultante de facteurs multiples et pas seulement de la volonté d’un homme ou d’un parti. Un mouvement social fort pourrait avoir une influence décisive. Par exemple, pour remettre à plat la construction européenne. Une course de vitesse s’est engagée. Et ce n’est pas un vain mot : pour remporter dans un mois des législatives qui s’annoncent déjà compliquées, François Hollande va devoir immédiatement créer une dynamique positive. En cas de défaite, l’ombre de la droite musclée resurgirait plus vite que prévu. On ne dira plus, comme jadis, que l’alternative est « socialisme ou barbarie ». Le socialisme, on ne sait plus très bien ce que c’est, mais la barbarie, on l’imagine parfaitement. Une chose est sûre, au moins : il vaut mieux affronter cette alternative avec François Hollande à l’Élysée qu’avec son prédécesseur.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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