École : « À qui doit servir l’évaluation ? »

Rendre publics les résultats des tests destinés à jauger le niveau des élèves de primaire ne fait qu’accentuer la concurrence entre établissements. Explications de Roland Goigoux.

Clémence Glon  • 31 mai 2012 abonné·es

Il était trop tard pour faire machine arrière. Du 21 au 25 mai, l’ensemble des élèves de CE1 et de CM2 ont planché sur les évaluations de primaire telles que les avait conçues Xavier Darcos en 2009. Vincent Peillon, nouveau ministre de l’Éducation, ne prendra pourtant pas en considération les 1,6 million de copies, qui resteront dans les écoles.

Dès cet été, ces épreuves destinées à jauger le niveau des élèves feront l’objet d’une réforme. Professeur en sciences de l’éducation à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, Roland Goigoux revient sur les objectifs que les nouvelles évaluations devront cibler.

Les évaluations mises en place en 2008 sont-elles vraiment utiles ?

Roland Goigoux ≥ La question centrale qui doit être posée avant de mettre en place un contrôle national est : à qui va-t-il servir ? Aux élèves, aux instituteurs, aux parents ou aux pilotes du système éducatif ? L’erreur est de penser que la même évaluation peut être utile à tous. Si les pilotes du système éducatif, politique ou administratif, veulent connaître l’efficacité de l’école, l’évaluation par échantillonnages est la plus adaptée. Il n’est pas nécessaire d’embêter l’ensemble des classes des cours élémentaires et des cours moyens. Dire qu’il faut évaluer l’ensemble des élèves pour dresser le bilan de leurs connaissances est une escroquerie. Toutes les grandes études internationales se font par le biais d’échantillons.

Pourquoi alors faire plancher l’ensemble des élèves ?

Une évaluation à grande échelle peut permettre d’étudier le niveau par zones géographiques. Elle fournit des renseignements importants pour l’administration locale. Mais, selon son objectif, cette ­comparaison par quartiers peut poser problème. Sert-elle à la mise en place d’une meilleure rationalité des moyens mobilisés ou ouvrent-elles la porte à une logique libérale de concurrence entre les établissements ? Les performances des élèves doivent s’inscrire dans des contextes socio-économiques comparables.

Les résultats ne relèvent pas uniquement du travail des instituteurs. Ils sont aussi fonction du niveau des élèves à leur entrée dans l’école. Or, quand le ministère publie les résultats, il ne précise pas ces différences. Et c’est ce manque de précaution que les maîtres contestent. La publication des résultats sans pondération renforce les effets d’image favorable ou défavorable des établissements.

Quelles formes pourraient prendre les nouvelles évaluations annoncées par Vincent Peillon ?

Les évaluations de fin d’année fonctionnent si la mission affichée est de piloter le travail enseignant en annonçant le niveau de performance attendu. Si le but est de mieux prendre en charge les élèves en difficulté, il faut organiser ces évaluations à un autre moment de l’année et avec un contenu différent. Avant la réforme de Xavier Darcos, les évaluations de CE1 se tenaient au mois de janvier et s’articulaient en deux temps. Un petit nombre d’épreuves s’adressaient à l’ensemble de la classe. Quand les élèves obtenaient un score minimal, l’évaluation finissait. Les élèves qui n’atteignaient pas ce score minimal passaient une deuxième batterie d’évaluations, plus fines que les premières.

Cela permet aux instituteurs de disposer de renseignements complémentaires afin d’ajuster leur pédagogie aux faiblesses des élèves. Les propositions que vient de faire le ministère pour la grande section de maternelle correspondent à ce schéma. L’évaluation joue alors un tout autre rôle. Mais, pour que les maîtres se servent honnêtement de cet outil d’alerte et d’aide à la différenciation, les résultats doivent rester internes à l’école.
Dans les pays où la mise en concurrence est poussée à l’extrême, en Angleterre par exemple, les enseignants trichent. Ils aident les élèves, ils préparent les exercices la veille, ils bachotent. Les enseignants ne rejettent pas en bloc les évaluations. Lorsqu’elles sont bien faites, elles les sécurisent en leur donnant l’occasion de savoir si ce qu’ils jugeaient satisfaisant l’est vraiment. C’est un moyen de situer leur travail. Mais un dispositif d’évaluation ne peut pas être gagnant sur tous les tableaux à la fois.

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