François Hollande : un pragmatique dans la tempête

Constant sans être rigide, François Hollande a conduit une carrière sans éclats mais efficace.

Pauline Graulle  • 10 mai 2012 abonné·es

Le gros temps de la crise pointe à l’horizon ; la France a choisi son capitaine. Un « capitaine de pédalo », selon le mot vachard de Jean-Luc Mélenchon ? Ou un fin manœuvrier, qui a surpris ses adversaires et jusque dans son propre camp ?

On en sait finalement assez peu sur François Hollande. Si ce n’est que le nouveau président de la République est né à Bois-Guillaume, banlieue chic de Rouen, dans une famille bourgeoise (une mère assistante sociale, un père ORL). Que cet énarque de 57 ans est l’ex-conjoint de la candidate à la présidentielle de 2007 et le nouveau compagnon d’une journaliste de Paris Match. Ou que l’ancien maire de Tulle, ex-député et président du conseil général de Corrèze, a un humour à toute épreuve, et le même goût des bains de foule qu’un autre Corrézien ayant jadis, lui aussi, conquis l’Élysée…
Mais quid de sa personnalité ? Et du fond même de sa pensée politique ? Celui dont Nicolas Sarkozy a fustigé « l’ambiguïté » et Martine Aubry le « flou » n’a pas dissipé la brume durant sa campagne. Une campagne à son image – de rassembleur ou d’attrape-tout, c’est selon –, inaugurée par un discours au Bourget très ancré à gauche… et refermée quatre mois plus tard sur le soutien du centriste François Bayrou. Une campagne où il a excellé à décrire ce que, lui élu, ne serait pas (« Moi, président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité […], je ne traiterai pas le Premier ministre de collaborateur… »). Mais où il n’a jamais vraiment dit ce qu’il serait.

Ruse tactique ou vacuité idéologique, quoi qu’il en soit, pari gagnant. « La personnalité de cet admirateur d’Henri Queuille [terne président du Conseil sous la IVe République, NDLR] correspondait à la période : après cinq ans d’agitation et de ­brutalité, la France voulait se reposer un peu avec un président qui n’est ni visionnaire ni idéologue, mais qui a un vrai sens du compromis et de la discussion », analyse le journaliste Éric Dupin, qui a rencontré Hollande à Sciences-Po, lorsque ce dernier était le responsable local, « à l’époque, pas pris très au sérieux », de l’Unef.

Après la droite dure, la « gauche molle » ? François Hollande, sorti 7e de la promotion Voltaire, est une figure emblématique de la deuxième génération des énarques socialistes, parachutés dans des fiefs de province, technocrates plutôt que militants de terrain, biberonnés à l’économie de marché plutôt qu’à Marx, et fascinés par les médias. « Hollande n’a pas de positionnement idéologique, au sens où il n’est pas très porté sur les débats intellectuels comme peut l’être un Mélenchon, souligne Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à Lille. En bon économiste, cet ancien conseiller de la Cour des comptes a intégré les contraintes du marché, au risque d’en faire une fatalité. Il s’inscrit dans le réalisme de gauche. »

À la fin du premier mandat de Hollande à la tête du PS – sur lequel il régnera pendant plus d’une décennie –, le Monde fustigeait l’immobilisme du Premier secrétaire, estimant que, sur « le plan idéologique, le navire [était resté] en rade ». Pour Jean-Luc Mélenchon, son rival au Congrès de Brest en 1997, qu’il retrouvera à la présidentielle de 2012, il a, au contraire, bel et bien conduit la « rénovation idéologique » de la gauche des années 2000. Entendez l’instauration d’une ligne « démocrate », troisième voie entre le socialisme et le libéralisme, remettant « en cause ouvertement le clivage gauche-droite ».

L’histoire remonte aux années 1980. Lorsqu’aux côtés notamment de son ami Jean-Pierre Jouyet, actuel président de l’Autorité des marchés financiers et ancien ministre d’ouverture de Sarkozy, il fonde les « transcourants ». Mouvement interne au PS regroupant ceux qui, à l’inverse de « l’anticapitalisme dogmatique », veulent emprunter les « chemins du réformisme » et « conjurer le spectre de la SFIO  ».

« Hollande a des valeurs, et de vraies convictions, par exemple sur les services publics, affirme Marie-Noëlle Lienemann, figure de longue date de la gauche du PS. Il n’est pas une anguille qui se love dans l’air du temps. Il n’est certainement pas mou, et moins plastique que certains ne l’imaginent. » Comment expliquer, sinon, la voie politique empruntée par ce fils de militant d’extrême droite ? L’européiste, fils spirituel de Jacques Delors et collaborateur de Mitterrand, aura, de même, maintenu son engagement pour le « oui » au moment du référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005. Quitte à faire éclater le parti, et sonner le glas, momentanément, de ses ambitions présidentielles.

Le candidat du « changement, c’est maintenant » a de la constance. Plus tenace, plus pugnace qu’on ne le croit. Sans lustre, certes. Révélatrice, sa nomination par Jospin à la tête du PS : « Il est arrivé là un peu par hasard, mais il a eu le mérite d’y rester », avance Lienemann.
Onze ans qui auront valu à l’homme de la synthèse autant de critiques que de surnoms – de « fraise des bois » à « Flanby »… Mais un poste idéal pour préparer la suite, et qui vaut expérience ministérielle. « Pendant toutes ces années, raconte Rémi Lefebvre, il a sillonné la France, accumulant un capital militant, se constituant un réseau de journalistes, intériorisant les codes médiatiques et la culture socialiste… Sa proximité avec Lionel Jospin [à l’époque Premier ministre, NDLR] lui a aussi permis de connaître parfaitement le fonctionnement de l’État. »

Un État qu’il lui faut désormais conduire dans la tempête : « Hollande est un pragmatique avant tout. Il penchera du côté du rapport de force qui se construira après le 6 mai », affirme Éric Dupin. Confirmation d’un proche du nouveau président : « Si la gauche de gauche joue subtilement son jeu, si elle ne met pas trop de bazar, il tiendra compte du mouvement social. » « Élu sans enthousiasme, Hollande pourrait étonner, estime Rémi Lefebvre. En le forçant à se positionner, le contexte économique et social désastreux pourrait le révéler. » Un président de crise, en somme.

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