L’Allemagne repart au charbon

La sortie du nucléaire outre-Rhin s’accompagne d’une reprise intensive de l’exploitation de lignite. Des villages dans le Brandebourg et en Saxe sont menacés de disparition. La contestation s’organise.

Rachel Knaebel  • 17 mai 2012 abonné·es

Kerkwitz, à 150 km au sud de Berlin, tout près de la frontière polonaise : 500 habitants, une gare, une église, une installation photovoltaïque sur le toit de la caserne de pompiers. Tout cela va disparaître, comme sept autres villages des États-régions du Brandebourg et de la Saxe, pour laisser place à un paysage lunaire de mines de lignite à ciel ouvert. Le bassin de Lusace a le malheur de se trouver sur les réserves de ce charbon dont l’Allemagne dispose encore en grandes quantités et qu’elle continue à extraire[^2].

Vattenfall veut exploiter de nouvelles mines dans la perspective du captage-stockage géologique du CO2. Cette technologie doit permettre de capturer le carbone dégagé par les centrales thermiques (ou l’industrie) pour l’enfouir sous terre. Les risques de pollution sont mal connus. Une loi qui devait autoriser les essais à grande échelle du captage-stockage a été adoptée en 2011 par le Bundestag, avant d’être rejetée par les régions. Entre-temps, Vattenfall a abandonné son projet de centrale de démonstration avec captage intégré. En France, Arcelor Mittal, EDF et Total ont lancé des projets expérimentaux. R. K.

Le pays tire toujours plus de 40 % de son électricité du charbon (24 % du lignite, 18 % de la houille). La proportion n’a pas augmenté avec l’arrêt de huit réacteurs nucléaires en 2011, après Fukushima (la part de l’énergie atomique dans la consommation électrique allemande est passée de 22 à moins de 18 %, celle des énergies renouvelables est montée à 20 %). Le projet de transition énergétique du gouvernement d’Angela Merkel ne présente aucun plan de sortie du charbon. Selon Greenpeace, pourtant, le pays pourrait abandonner ce combustible en 2040.

Ainsi, 130 villages de Lusace ont disparu depuis les années 1920. Après la chute du mur, la décision semblait prise d’en rester là. Horno, cédé aux pelleteuses en 2005, devait être le dernier. Vattenfall a rompu la trêve : le groupe énergétique suédois veut étendre ses mines de Jänschwalde (3 000 hectares de villages, forêts et champs à raser) et Welzow (1 900 hectares) dans le Brandebourg, et celle de Nochten en Saxe. Plus de 3 000 personnes devront quitter leur habitation. Vattenfall pourra ainsi continuer à extraire du charbon jusqu’à 2070 au moins, alors que les sites actuels seront épuisés vers 2030-2040. Le gouvernement régional soutient les projets.

« Nous l’avons appris à la radio, se souvient Dieter Augustyniak, habitant de Kerkwitz. On nous avait promis que c’était fini. » L’administration régionale a jusqu’à 2015 pour donner ou pas son accord. « Si c’est autorisé, nous irons au tribunal. La première fois que j’ai vu une mine de lignite à ciel ouvert, j’ai été épouvanté. Des paysages entiers, une histoire, tout est gommé, rapporte Wolfgang Neskovic, député Die Linke (gauche radicale) de Lusace au Bundestag. Et ce n’est pas possible de reconstruire. » Une fois les réserves exploitées, les terrains sont le plus souvent transformés en lacs artificiels. Il en existe déjà une vingtaine dans la région.

Le lignite est un gros émetteur de gaz à effet de serre, plus encore que la houille. La centrale de Jänschwalde dégage 1,2 kg de CO2 par kWh d’électricité produite. Elle émet 25 millions de tonnes de carbone par an. En 2008, des opposants ont lancé une pétition pour un référendum d’initiative populaire. Ils ont récolté plus de 25 000 signatures en moins d’un an. Il en fallait 80 000. Mais, juste après, des habitants ont créé une coopérative solaire qui exploite 14 installations en Lusace, dont celle de la caserne de Kerkwitz, inaugurée fin 2010. « Nous voulions montrer que les citoyens peuvent agir sur la politique énergétique, en particulier dans les villages menacés », explique Matthias Bärmann, le ­président de la coopérative.

En 2009, Vattenfall a annoncé vouloir enfouir le CO2 de ses centrales à charbon dans les sols du Brandebourg, avec la technique du captage-stockage géologique (voir ci-dessous). Contestation immédiate. « Les agriculteurs en ont assez de recevoir les saletés, que ce soient les déchets nucléaires ou le carbone », souligne Reinhard Jung, du groupement agricole (conservateur) Bauernbund : « Si Vattenfall extrait du lignite jusqu’en 2070, c’en est fini de la transition énergétique. Nous, nous défendons les renouvelables. »

L’église protestante de la région soutient les énergies vertes contre le combustible fossile. L’un des pasteurs, Matthias Berndt, est chargé du soutien aux habitants. « Ils vivent dans une grande inquiétude », rapporte l’homme d’Église, qui habite depuis trente-cinq ans dans la commune menacée d’Atterwasch.

Ce charbon supplémentaire, le Brandebourg (qui n’abrite pas de centrale nucléaire) n’en a pas besoin. « Avec les réserves des mines actuelles, il reste assez de lignite pour fournir les centrales de la région jusqu’en 2040, date à laquelle le pays peut tout à fait sortir du charbon », explique Axel Kruschat, de la section régionale de l’association Bund (Amis de la Terre). Par ailleurs, l’État-région, peu peuplé, est très en avance sur les énergies renouvelables, qui peuvent déjà couvrir 45 % de ses besoins en électricité. 50 % de son électricité produite est d’ailleurs livrée ailleurs dans le pays ou en Pologne. Même en approvisionnant Berlin, l’État-région produit bien plus de courant que nécessaire.

Selon René Schuster, de l’association écologiste locale Grüne Liga, « la région pourrait s’auto-approvisionner en renouvelables dans moins de vingt ans ». La question est aussi économique. Vattenfall emploie plus de 5 000 personnes en Brandebourg. C’est bien moins qu’en 1990, où les mines faisaient travailler des dizaines de milliers d’habitants, « mais ça rapporte de l’argent dans une zone désindustrialisée », souligne le militant.

Ce qui explique aussi la position des sociaux-démocrates (SPD) locaux, qui défendent bec et ongles la poursuite de l’exploitation du lignite. Die Linke, qui avait fait campagne contre le charbon lors des élections régionales de 2009, s’est pliée au SPD une fois entrée dans le gouvernement de coalition.
« L’État-région devrait aider à la création d’emplois en prévision de la fin du charbon, au lieu de s’y accrocher », estime Wolfgang Neskovic. Le député Die Linke se bat, contre son parti, aux côtés des opposants aux mines. Juriste de formation, il encourage les habitants à aller jusqu’au tribunal. « Les juges sont beaucoup plus sensibles aujourd’hui qu’il y a dix ans aux questions de protection de l’eau, de l’environnement et des personnes. » Mais une nouvelle mine est aussi en projet en Pologne, à quelques kilomètres seulement de Kerkwitz. Là-bas aussi, la contestation s’organise.

[^2]: En 2011, 176 millions de tonnes de lignite ont été extraites en Allemagne (59 millions en Lusace, le reste dans la région rhénane). Source : Bundesverband Braunkohle.

Écologie
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