Papy fait de la résistance

Christine Tréguier  • 24 mai 2012
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Papy fait de la résistance
Photo : [capture d'écran->http://hamptonroads.com/2012/04/confessed-dvd-bootlegger-hero-troops-war]

L’histoire de Hyman Strachman, révélée par le New York Times , est peu ordinaire et symbolique de la nécessité de repenser les droits d’auteur. Ce retraité nonagénaire de Long Island a à son actif 300 000 copies de tous les grands films américains des huit dernières années. En 2004, en quête d’une activité après le décès de sa femme, ce vétéran de la Seconde Guerre mondiale traîne sur les forums de soldats américains stationnés en Irak ou en Afghanistan, et constate qu’ils se plaignent de la difficulté à voir des films.

Papy Strachman, surnommé « Big Hy », lance alors sa petite entreprise de piratage pour soutenir le moral des boys . Au départ, il se contente d’acheter des copies pirates de films à la gare près de chez lui, puis chez son coiffeur, de les copier laborieusement avec son ordinateur et de les envoyer par la poste à ses frais aux aumôniers militaires qui se chargent de les diffuser. Il reçoit en retour des lettres de remerciement émues. Du coup, papy se pique au jeu et investit dans un graveur professionnel capable de réaliser simultanément sept copies DVD. Côté approvisionnement, ça roule. Il récupère tous les gros titres, parfois même avant leur sortie en salle. Et ce sont des colis de 84 DVD qui partent régulièrement vers l’Irak et l’Afghanistan pour égayer les soirées des soldats. 

Ce petit trafic va durer huit ans avant d’attirer l’attention des services de répression des fraudes. Au New York Times , venu faire un reportage chez lui, il montre son équipement et explique qu’en février il a envoyé 1 100 films. « Un petit mois » , dit ce travailleur acharné qui consacre environ soixante heures par semaine à son activité philanthropique. Il n’a pas compté mais, les meilleures années, il estime avoir gravé 80 000 DVD et en a au total distribué 300 000.

373 500 euros de dommages et intérêts

Vu l’ampleur du piratage, on aurait pu s’attendre à ce que la MPAA, l’association qui défend les intérêts des grands studios américains, grimpe aux rideaux et demande une condamnation exemplaire. Pour mémoire, en janvier cette année, un Français a écopé de neuf mois de prison avec sursis et de 373 500 euros de dommages et intérêts pour avoir mis 23 films en accès peer to peer. Problème, dans la presse et dans l’opinion publique, Big Hy est un héros patriote qui fait ce que ne font pas les studios. À l’heure du numérique et du streaming, ils sont si obnubilés par le piratage qu’ils continuent d’envoyer des projecteurs et des copies film. Hollywood fait donc profil bas, et les poursuites seront vraisemblablement abandonnées. Embarrassé, Howard Gantman, porte-parole de la MPAA, s’est contenté de déclarer : « Nous sommes heureux que les divertissements que nous produisons puissent apporter de la joie à ceux qui sont loin de chez eux.*  » 

L’affaire pose clairement la question de la distinction entre les « méchants pirates » – les réseaux de contrefaçon organisée à but commercial – et les « gentils pirates » – qui ne tirent pas profit de cette activité et ne font que partager ce qu’ils aiment avec d’autres. Elle dit ce que tout le monde sait : les échanges non-marchands sont un nouveau mode de diffusion des produits culturels à l’heure du numérique et d’Internet. S’ils créent un manque à gagner pour les auteurs, c’est parce que l’industrie, soucieuse de conserver sa rente, refuse d’actualiser son modèle économique.

L’article du New York Times

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Temps de lecture : 3 minutes
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