Surendettement, « une spirale financière infernale »

Sabine Esponda, qui a aidé son frère surendetté, dénonce dans un livre témoignage la mécanique pernicieuse des crédits renouvelables et le cynisme des organismes de prêt qui profitent des failles d’ un appareil législatif déficient.

Sarah Sudre  • 24 mai 2012 abonné·es

«Le surendettement, c’est comme une catastrophe naturelle. Ça arrive toujours aux autres, jamais à nous », raconte Sabine Esponda. En 2008, quand elle a appris que son frère Antoine était endetté à hauteur de 50 000 euros, il lui a fallu agir, et vite. Après quatre années de lutte acharnée contre les sociétés de crédit, la famille Esponda a finalement obtenu gain de cause. Aujourd’hui, le combat continue. « Pas pour nous, précise Sabine Esponda, mais pour les milliers de foyers surendettés en France ».

Dans votre livre [^2], vous définissez le crédit renouvelable comme un piège pour le consommateur. Pourquoi ?

Sabine Esponda :  Au premier abord, le crédit renouvelable semble avantageux pour les gens qui ne peuvent pas payer en une seule fois. C’est un mode de crédit tentant, car facile d’accès. Il n’y a pas la contrainte de devoir constituer un dossier de justificatifs. C’est aussi un crédit alléchant, parce que les mensualités de remboursement sont souvent minimes.
Pour une utilisation ponctuelle et une somme rapidement remboursable, ce type de crédit peut donc être un dépannage. En revanche, il devient une arme de destruction massive si vous accumulez les crédits et les remboursements à faible mensualité. Vous remboursez à votre rythme, et la réserve de ce qui reste à payer se reconstitue toujours, étant donné les taux d’intérêts, qui sont le plus souvent supérieurs à 20 %.

Au final, vous mettrez soixante-deux mois pour rembourser votre téléviseur, et vous l’aurez payé le triple de ce qu’il valait. Cet effet boule de neige peut provoquer une spirale financière infernale.

Comment un client peut-il multiplier les crédits à la consommation ?

Les crédits renouvelables et les cartes de fidélité sont des propositions commerciales volontairement entretenues par les grandes entreprises et les politiques. Contrairement aux banques, les sociétés offrent des crédits car elles savent que le pourcentage de personnes qui ne rembourseront pas restera minime, inférieur à 5 %.

Mais, alors que certains ont déjà deux crédits en cours, les entreprises leur en proposent un troisième, et les emprunteurs se retrouvent submergés de dettes. La solution serait, dans un premier temps, de rééquilibrer les offres à taux normaux et celles à taux renouvelables. Cela inciterait moins les gens à utiliser le crédit renouvelable.

La loi Lagarde n’est-elle pas censée protéger le consommateur ?

La loi Lagarde, mise en place en 2011, pourrait être un premier garde-fou, puisqu’elle oblige le prêteur à vérifier la solvabilité de l’emprunteur. Mais, en réalité, elle n’est pas efficace. Une enquête de l’UFC Que choisir [^3] montre que le texte reste vague quant à la façon dont on vérifie si un compte est solvable ou non. Sachant qu’il est néfaste pour les chiffres d’affaires des entreprises de ne plus offrir de crédits renouvelables à tout-va, certaines n’hésitent pas à contourner la loi. Les politiques devraient commencer par revoir le système de prévention de l’endettement. Car, en gros, rien n’a changé.

Les clients sont-ils mal informés ?

Oui, il y a un manque d’information de la part des banques, des sociétés de crédit et de l’État. Je veux tordre le cou à l’idée reçue selon laquelle il faudrait prendre un crédit pour en rembourser un autre. En réalité, c’est la porte ouverte à un endettement infini. Autre problème : beaucoup de personnes surendettées ne le savent pas, ou ne veulent pas se l’avouer. Quand elles s’en aperçoivent, il est déjà trop tard. Le désespoir, la honte et la culpabilité s’installent chez elles, avec toujours la même question : « Comment ai-je pu être aussi bête ? »

Dès que quelqu’un n’arrive plus à faire face à son budget, il devrait faire un point. Avec une conseillère en économie sociale et familiale, par exemple. Le surendettement ne doit pas être un sujet tabou. Il faut en parler et s’entraider. Il faudrait davantage de missions, aux échelles locale et nationale, d’information et de sensibilisation à la gestion d’un budget. À l’époque où mon frère était endetté, j’ai dû me débrouiller seule. Aujourd’hui avec l’association Cresus [^4] et le forum Internet Entraide surendettement [^5], on tente de remédier à ce manque d’information. Je passe huit heures par jour sur le forum pour aider les gens qui appellent au secours.

Que ressentez-vous à la lecture
de ces témoignages ?

J’en ressors toujours avec la même conclusion : il y a quelque chose d’injuste dans ce système. Il y a un abus de puissance de la part de ces sociétés de crédit qui écrasent les gens, les poussent à la consommation, puis à la faute. Les personnes qui souscrivent des crédits reçoivent sans cesse des relances pour les anniversaires, Noël, la fête des mères… Savoir qu’une dame de 70 ans doit vendre sa maison pour rembourser ses dettes, ça me rend folle !

Quelles sont les solutions
pour s’en sortir ?

Constituer un dossier de surendettement. Il permet le rachat de crédits à meilleur taux et protège contre les procédures judiciaires. Avec un dossier, vous êtes suivi et vos créances sont vérifiées. Ensuite, il y a un travail psychologique à faire sur soi. Une fois que l’on assume le fait d’être endetté, les démarches administratives sont déjà moins difficiles.

Il reste qu’aujourd’hui beaucoup de gens surendettés ont également besoin d’un accompagnement de proximité, car ils sont largués face à des courriers administratifs illisibles, d’une complexité extrême. Je leur conseille d’aller les faire lire par une personne susceptible de les aider. Quand on est surendetté, il faut surtout éviter de s’isoler. D’où ma présence active sur le forum.

[^2]: Surendetté. En lutte contre les dérives des sociétés de crédit, Sabine Esponda, éditions Eyrolles, 239 p., 15,10 euros.

[^3]: Enquête « Crédit à la consommation : les établissements discrédités », UFC Que choisir ? Téléchargeable sur www.quechoisir.org

[^4]: Chambre régionale du surendettement social.

[^5]: www.forum-entraide-surendettement.fr : possibilité de télécharger un dossier de surendettement.

Société
Temps de lecture : 5 minutes

Pour aller plus loin…

Tour de France : Franck Ferrand, commentateur réac’ toujours en selle
Médias 11 juillet 2025

Tour de France : Franck Ferrand, commentateur réac’ toujours en selle

Cette année encore, France Télévisions a reconduit Franck Ferrand aux commentaires en charge du patrimoine lors du Tour de France. L’historien, très contesté, fan de Zemmour et de thèses révisionnistes, n’hésite pas, insidieusement, à faire passer ses idées.
Par Pierre Jequier-Zalc
La CGT et le Tour de France : quand sport et luttes se marient bien
Luttes 11 juillet 2025

La CGT et le Tour de France : quand sport et luttes se marient bien

Si le Tour de France est avant tout un événement sportif, il permet aussi à des luttes sociales et politiques de mettre en avant leur combat. Comme lundi dernier, à Dunkerque pour sauver les emplois d’ArcelorMittal.
Par Pierre Jequier-Zalc
« Ils parlent d’échange de migrants comme si les personnes étaient des objets »
Entretien 11 juillet 2025 abonné·es

« Ils parlent d’échange de migrants comme si les personnes étaient des objets »

Alors qu’un accord d’échange des personnes exilées a été trouvé entre la France et le Royaume-Uni, Amélie Moyart, d’Utopia 56, revient sur les politiques répressives à la frontière et le drame qui a conduit l’association à porter plainte contre X pour homicide involontaire.
Par Élise Leclercq
Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020
Enquête 10 juillet 2025 abonné·es

Terrorisme d’extrême droite : derrière le site d’AFO, Alain Angelini, soutenu par le RN en 2020

L’homme, alias Napoléon de Guerlasse, est l’administrateur du site Guerre de France, qui servait au recrutement du groupe jugé pour association de malfaiteurs terroriste. Militant d’extrême droite soutenu par le parti lepéniste aux municipales de 2020, son absence au procès interroge.
Par Pauline Migevant