Voici venu le temps des salades…

« Chronique jardins » du week-end. Fruits et légumes peuvent-ils aussi être un objet historique et politique ? Retour, pour ce premier épisode du quinquennat, sur l’histoire de la salade qui ne fut longtemps qu’un mélange dans lequel chacun mettait un peu n’importe quoi.

Claude-Marie Vadrot  • 25 mai 2012
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Voici venu le temps des salades…
© Photo : AFP / Christopher Villano / Image source

Les pissenlits ont déjà depuis quelques semaines épuisé leurs belles fleurs jaunes, qu’on peut manger en salade (avec les feuilles de cette plante aux vertus fortement diurétiques) ou mêlées à d’onctueuses omelettes. Ils ont dispersé leurs graines très légères à tous les ris, au cours de ce printemps bien avancé malgré intempéries et vents contraires. Cette plante, connue autrefois sous le nom de « dent de lion », pousse même dans les cimetières. D’après la tradition, leurs occupants la mangent par la racine. Elle est en tout cas présente dans tous les pays tempérés du monde, même si les Français sont pratiquement les seuls à la consommer : je n’ai jamais oublié la surprise de mes amis russes auxquels je rapportais des pissenlits cueillis dans les grands parcs de Moscou.

Le secret de la salade : de tout, un peu

Voici donc venu le temps des « salades ». Le mot, venu d’Italie au cours de la Renaissance, n’a pas de signification botanique et désigne d’abord un mélange dans lequel chaque cuisinier met, trouve ou entend ce qu’il veut, pour composer une salade souvent sans grande saveur : il ne faut choquer aucun palais. Il suffit d’écouter les nouveaux ministres et les candidats aux législatives pour s’en rendre compte : de tout, un peu. Chacun, selon une autre expression née au début du XIXe siècle, cherche à « vendre sa salade », qu’elle soit verte ou rouge. Car il y a largement le choix…

Quoi de commun en effet, par exemple, entre les laitues, un peu fades, et la roquette, agréablement parfumée et qu’il est facile de faire pousser en quelques semaines dans une terre légère ? Les laitues et les chicorées, celles qui agrémentent les abords des routes de leurs belles fleurs bleues, nous sont venues du Moyen-Orient, alors que la roquette, désormais à la mode, est arrivée d’Asie, ses graines étant mêlées aux céréales au milieu desquelles elle poussait naturellement. Comme elle le fait encore dans les cultures qui ne sont pas régulièrement (mal)traitées aux désherbants dits sélectifs.

La roquette fut donc d’abord sauvage. Elle faisait les délices des patriciens romains et, plus tard, grâce à Charlemagne qui la mit sur sa liste des légumes officiels, elle se civilisa progressivement dans les jardins, où la moindre pluie exacerbait son parfum si particulier ; mais la variété cultivée conserve heureusement les mêmes vertus gustatives et diurétiques, et les marchands de graines qui prétendent à une différence pour vendre plus cher la variété sauvage ne sont que des escrocs. Toutes les roquettes sont, par ailleurs, considérées comme aidant à la digestion, vertu propre à la salade…

Mise à l’index

L’Église catholique, ne ratant jamais une occasion de débusquer le Malin là où il ne se cachait pas, attribua aussi à la roquette des effets aphrodisiaques (que nulle consommation massive n’est jamais parvenue à prouver). Dans un célèbre et long traité consacré aux jardins et aux plantes médicinales, Hildegarde Von Bingen, religieuse bénédictine du XIIe siècle, décréta qu’il fallait bouter cette plante hors des jardins des monastères, car elle aurait incité moines et moniales à de coupables pensées. Voire pire… Peut-être la chanoinesse teutonne fut-elle impressionnée par l’amour que se portèrent, en France et en ce même XIIe siècle, Héloïse et Abélard, qui rompirent gaillardement leurs vœux de chasteté de moine et de religieuse ? On ose espérer toutefois que ce n’est pas pour cette mise à l’index de la roquette, qui s’imposa tout de même jusqu’au XVIIIe siècle, que la religieuse allemande fut canonisée et que le pape Benoît XVI en a fait sa vedette en matière de sainteté.

Salades de printemps donc, dans tous les recoins de la politique et du jardin, les candidats, anciens ou nouveaux, s’efforçant, comme les obtenteurs de nouvelles variétés, de diminuer au maximum l’amertume de leurs salades. De la rossia à la grenobloise en passant par la scarole, la batavia, la feuille de chêne rouge ou verte, la romaine et même les chicorées, l’essentiel est de ne jamais froisser le palais du consommateur. C’est ce que les spécialistes du marketing nomment depuis longtemps le « goût », qu’il est possible de suivre et de retrouver dans les supermarchés et les jardins du monde entier comme dans tous les discours. Il faut éviter de choquer… Ce qui explique peut-être que les « salades » soient devenues si banales, au point de ne plus faire qu’une attristante figuration dans les assiettes de tant de marchands de soupe, abusivement rebaptisés « restaurateurs ».

Son apparition sous plastique, dans sa version la plus aseptisée, fait injure aux vieilles salades politiques d’autrefois et aux goûteuses feuilles, vertes ou rouges, qui poussent dans mon jardin et survivent dans ma mémoire citoyenne…

Écologie
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