Allemagne : Die Linke en crise radicale

Le parti de gauche enchaîne les défaites électorales et souffre de conflits internes. La nouvelle direction élue le 3 juin doit rétablir la confiance. Correspondance de Berlin, Rachel Knaebel.

Rachel Knaebel  • 7 juin 2012 abonné·es

La gauche radicale allemande Die Linke, modèle à bien des égards du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, vient de se choisir deux nouveaux chefs. Elle reste pourtant orpheline. Oskar Lafontaine, fondateur du parti, ne reviendra pas à sa tête. L’ancien social-démocrate, sacré ministre des Finances de Gerhard Schröder en 1998, avait quitté ce gouvernement quelques mois plus tard, en opposition avec ses réformes antisociales. Contre le tournant libéral de la gauche d’alors, c’est lui qui a créé Die Linke en 2007, fruit d’une fusion des néocommunistes d’Allemagne de l’Est et d’un mouvement de syndicalistes et de sociaux-démocrates mécontents de l’Ouest.

Dans une Allemagne paupérisée par la déréglementation du travail, Die Linke a connu de belles réussites pendant quelques années, avec, entre autres, 21 % des voix en 2009 en Sarre (patrie de Lafontaine, à la frontière française) et près de 12 % aux dernières législatives, la même année. Die Linke se portait donc bien quand Oskar Lafontaine a quitté sa direction en 2010, pour raisons de santé. Deux ans plus tard, la formation politique traverse « la plus grave crise de ses cinq années d’histoire », écrivait fin mai une figure montante du parti, Sahra Wagenknecht, dans la version allemande du Financial Times.

Après presque un an de difficultés, Oskar Lafontaine a envisagé de se représenter à la tête du parti, avant de se retirer face aux candidatures et aux voix dissidentes, surtout venues d’ex-RDA. L’ombre d’une scission entre les deux ailes a plané sur le dernier congrès de Die Linke, les 2 et 3 juin. Ce sont finalement une jeune femme de 34 ans, Katja Kipping, députée originaire de l’Est, et un syndicaliste quinquagénaire de l’Ouest, Bernd Riexinger (la direction est obligatoirement bicéphale), que les délégués ont élus dimanche. La tâche des nouveaux responsables sera rude.

Il faudra juguler la fuite des militants (de 78 000 adhérents en 2009 à 69 000 aujourd’hui) et reprendre du terrain dans les urnes. Après avoir dû quitter la coalition gouvernementale à Berlin en 2011, Die Linke a enregistré deux défaites électorales en mai, dans les États-régions de Schleswig-Holstein (à la frontière danoise) et en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, land le plus peuplé d’Allemagne. Elle y a perdu ses groupes parlementaires avec des scores de 2,2 et 2,5 % des voix, loin du seuil de 5 % pour entrer dans les assemblées, et bien en dessous de ses résultats passés.

Au même moment, le jeune Parti pirate, qui défend la démocratie participative et présente le plus souvent des novices en politique, a fait son entrée dans ces parlements régionaux, avec 7 à 9 % des voix. Le même scénario pourrait se reproduire en janvier prochain en Basse-Saxe, et affaiblir encore Die Linke avant les législatives de septembre 2013. « L’Allemagne a besoin de Die Linke si on veut une société plus à gauche », défend le député Jan van Aken. Lui et ses 75 collègues au Bundestag accomplissent un gros travail d’opposition, notamment avec leurs questions au gouvernement qui contraignent la chancelière Angela Merkel à révéler des chiffres qu’elle préférerait taire, par exemple sur la pauvreté des retraités ou l’emploi précaire.

Le parti de gauche agit aussi sur le terrain : il vient de fonder une coopérative immobilière pour racheter plus de 11 000 logements sociaux situés en ex-RDA, que l’État veut privatiser. Die Linke est par ailleurs un modèle de parité, avec plus de femmes (42) que d’hommes (34) dans son groupe au Bundestag. Et c’est aussi le seul parti allemand à rejeter en bloc le nouveau Pacte européen d’austérité. « Sans Die Linke, les sociaux-démocrates se rapprocheraient des positions de Merkel », souligne le député.

« Notre parti est aujourd’hui plus nécessaire que jamais pour l’Europe, car ce que nous avons vécu en Allemagne [avec les réformes libérales du marché du travail] touche maintenant tout le continent encore plus durement. En Allemagne, quatre partis veulent signer un traité européen contre l’État social et contre la démocratie. Qui y résiste sinon Die Linke ? » a demandé Oskar Lafontaine samedi, lors de son discours au congrès du parti, avant de louer les victoires du Front de gauche français : « C’est la France qui montre comment un parti de gauche relativement faible peut changer la politique. […] Le nouveau président français a proposé 75 % d’impôt sur les revenus de plus d’un million d’euros. Il a repris l’idée d’une limite des salaires des patrons à 20 fois celui des ouvriers. C’est nous qui avons proposé ça en premier. » Aujourd’hui, c’est finalement Jean-Luc Mélenchon qui montre la voie au parti d’Oskar Lafontaine.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

En Sicile, les damnés de la serre
Italie 10 avril 2024 abonné·es

En Sicile, les damnés de la serre

Dans l’une des plus grandes concentrations de serres d’Europe, les abus sont légion. Ces dernières années, le racket des ouvriers tunisiens venus avec un visa s’est généralisé.  
Par Augustin Campos
La gauche grecque, du pouvoir à la marginalisation
Monde 3 avril 2024 abonné·es

La gauche grecque, du pouvoir à la marginalisation

Avec l’arrivée au pouvoir d’Alexis Tsipras en 2015, le pays devait faire figure de modèle pour les gauches radicales d’Europe. Près de dix ans plus tard, Syriza cumule les échecs électoraux et les espoirs se sont éteints.
Par Angélique Kourounis
Turquie : « J’ai vécu un remake de l’affaire Dreyfus »
Monde 27 mars 2024 abonné·es

Turquie : « J’ai vécu un remake de l’affaire Dreyfus »

La quasi-totalité des édiles du Parti démocratique des peuples élus en 2019 ont été destitués par le régime turc au bout de quelques mois. C’est le cas d’Adnan Selçuk Mızraklı, porté à la tête de Diyarbakır avec 63 % des voix, qui depuis est en prison. Nous sommes parvenus à établir avec lui une correspondance écrite clandestine.
Par Laurent Perpigna Iban
À Jérusalem-Est, un ramadan sous pression
Monde 20 mars 2024 abonné·es

À Jérusalem-Est, un ramadan sous pression

En Palestine occupée, le mois saint de l’islam cristallise les tensions alors que les Palestiniens font face à de nombreuses restrictions de l’accès au mont du temple et à la mosquée Al-Aqsa. Elles illustrent le régime légal que des organisations de défense des droits humains qualifient d’apartheid. 
Par Philippe Pernot