Discriminations : Est-ce ainsi que les homos vivent ?

Dans un cas sur trois, la violence homophobe relève de l’entourage : famille, voisins ou collègues de travail. Le Refuge accueille pendant six mois des jeunes confrontés au rejet.

Clémence Glon  • 21 juin 2012 abonné·es

Une longue pièce mansardée encadrée de tables et de canapés, des ordinateurs. Au siège de l’association le Refuge, près de la place de la Bastille à Paris, règne une ambiance d’auberge de jeunesse. Mais les grands ados assis ça et là ne sont pas en vacances. Âgés de 18 à 25 ans, ils se sont tournés vers le Refuge quand il leur a fallu s’éloigner du cocon familial. Pour « se sentir libre », comme l’explique Steve, la vingtaine. Tous les jeunes qui vivent au Refuge sont homosexuels. Les histoires racontées sont différentes et pourtant se rejoignent : la famille apprend que l’enfant ne répondra pas aux normes imposées et préfère le chasser.

Steve est originaire de Madagascar. Quand ses proches découvrent son homosexualité, ils le menacent : « On préfère te voir mourir plutôt que te laisser salir l’honneur de la famille. » Depuis, à chaque entretien d’embauche, le jeune homme doit expliquer la mention « réfugié » sur son passeport, qui fait tiquer le recruteur. Créé en 2003 à Montpellier, le Refuge a essaimé ses appartements de secours du côté de Marseille, Lyon, Toulouse et Paris. En Île-de-France, il peut accueillir treize jeunes dans deux logements. Un troisième, en cours d’acquisition, permettra d’offrir six places supplémentaires loin des condamnations familiales. Si l’homosexualité est largement abordée par les médias, la société change lentement. Dans son rapport de l’année 2012, SOS homophobie a relevé 1 556 témoignages relatifs à des comportements homophobes : 38 % d’entre eux proviennent de l’entourage proche, famille, voisinage, travail. Une homophobie de proximité qui se place en première place, devant Internet (17 % des cas recensés). « La grande majorité de la population évolue dans le bon sens, explique Élisabeth Ronzier, présidente de SOS homophobie. Mais la part d’homophobes qui subsiste se durcit. » Les insultes entrent dans le langage courant, même si, aujourd’hui, près de 63 % des Français se disent favorables au mariage gay (sondage Ipsos, juin 2011). Un chiffre à relativiser, car il est toujours plus simple de tolérer ce qui ne nous concerne pas.

Les jeunes du Refuge portent sur l’homophobie un regard adulte, en décalage avec leur apparence de lycéens égarés. « Certainement le manque d’éducation ou la peur de ce qui est inconnu », estime Alexy. De fait, l’éducation à l’école autour des questions de sexualité est insuffisante. « Deux heures de prévention contre le sida en classe de 3e, ça sert à quoi ? », lâche Sacha derrière sa mèche de cheveux noirs. Dans l’ancienne classe de la jeune fille, des spots de prévention contre le sida ont été projetés, mais quand deux hommes se sont embrassés sur l’écran, la plupart des élèves se sont laissés aller à des râles de dégoût. SOS homophobie reçoit chaque année davantage de témoignages de mineurs. « Certains élèves écrivent directement au personnel de l’établissement pour le mettre face à ses responsabilités », poursuit Élisabeth Ronzier.

L’association intervient sur demande des proviseurs. Un travail de fourmi qui porte doucement ses fruits. Des collégiens demandent parfois aux militants présents s’ils sont homosexuels, avant de conclure : « J’imaginais pas qu’un gay pouvait ressembler à ça. » Pour Alexy, dont la famille vit à Nanterre, le voisinage représente la pire des pressions : « Il suffit qu’une seule personne soit au courant et tout le monde l’apprend. Les regards changent. » Une homophobie « vicieuse et sournoise », dénonce Élisabeth Ronzier. Les voisins sont tout le temps là, par définition, et commettent des actes difficilement répréhensibles par la justice. Combien de boîtes aux lettres taguées, de poubelles renversées ou de chiens qu’on laisse faire leurs besoins devant la porte de la victime, pour l’embêter et la stigmatiser ? Le Refuge accueille les jeunes pour une durée de six mois renouvelable. Une courte parenthèse qui permet aux plus chanceux d’achever une formation et de trouver un emploi. « Pour les situations les plus graves, il reste l’aide sociale à l’enfance (ASE) », soupire Élisabeth Ronzier. Un pis-aller car les agents de l’ASE ne suivent aucune formation pour identifier cette source de violence. Durant sa campagne, François Hollande s’est engagé auprès de SOS homophobie à lancer une nouvelle formation.

Déguisés ou non, tous les jeunes du Refuge participeront à la Gay Pride du 30 juin. Qu’ils préfèrent d’ailleurs nommer « Marche des fiertés », consonance moins festive, plus politique. Un peu agacé, Alexy prévient : « Ce serait bien que, cette année, les médias montrent autre chose qu’une minute d’images où l’on ne voit que des gays en train de s’embrasser. »

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