Il est temps que chacun s’occupe de ses oignons…

Chronique « jardins » du week-end. Fruits et légumes peuvent-ils aussi être un objet historique et politique ? Histoire de l’oignon qui pousse sans que le jardinier s’en mêle, bien que nous nous mêlions de compter ses pelures.

Claude-Marie Vadrot  • 9 juin 2012
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Il est temps que chacun s’occupe de ses oignons…
© Photo : AFP / Patrice Tourenne / PHOTONONSTOP

Les anciens prétendaient à tort ou à raison que plus le nombre de pelures de l’oignon récolté au potager était grand, plus l’hiver serait rude et en proie à la rigueur. Il nous reste un bon mois pour les éplucher afin de pouvoir vérifier si les perspectives de notre prochain hiver politique sont ou non enthousiasmantes. Ce qui signifie que, peut-être, l’opération nous fera pleurer pour rien…et que s’agissant de notre bonheur, la droite s’occupera enfin de ses oignons !

En attendant les dits oignons poussent dans mon jardin mêlés à des herbes qui profitent honteusement des alternances de chaud, de frais et de pluies pour se pousser du col. Il suffira de trier le bon grain de l’ivraie dès le mois de juillet. J’aime laisser pousser les herbes folles dans les légumes faciles car c’est mes oignons : une des versions des expressions « oignonesques » nées au début du XX ème siècle. L’avantage de la culture de l’oignon, qu’il faut planter en février en compagnie de l’ail dit de printemps, est qu’elle l’une des plus faciles qui soient, ce qui explique que les paysans des siècles passés s’en soient gavés et les aient accommodés à toutes les sauces.

Les miens sont de plus en plus joufflus mais cohabitent sans états d’âme avec les aulx plus galbés et élancés, les dépassant d’au moins une coudée même s’ils font un peu la gueule d’avoir été trop arrosés par le ciel. Ni les uns ni les autres ne ressemblent vraiment à leurs ancêtres qui poussaient sauvagement et que les hommes récoltaient dans la nature sur le territoire de ce qui fut ensuite la Perse, il y a 6000 ans. D’ailleurs dans le Nord de l’Iran et sur les bords de la Caspienne, en Azerbaïdjan par exemple, il est encore possible de trouver des oignons sauvages ou des oignons retournés à l’état sauvage dans les champs et sur les pentes des collines caucasiennes. Ensuite, quittant la Perse, le bulbe a migré il y a 3000 ans en Mésopotamie puis en Egypte, deux régions où il a fini par être cultivé et amélioré. Il se répandit dans le Caucase puis en Russie où la noblesse le méprisait comme étant une nourriture de moujik. Peu à peu il gagna l’Europe et parvint en France au début du Moyen Age.

L’oignon est probablement le plus ancien des légumes mangés par l’être humain. Antériorité qui explique sans doute que des populations entières l’aient parés de vertus médicinales et même magiques : il guérissait les verrues, la typhoïde et bien d’autres maladies, notamment le torticolis ou l’enrouement quand ils étaient porté plusieurs jours en collier. Comme de tout temps les prêtres de la plupart des religions étaient des obsédés sexuels et s’occupaient trop des oignons de leurs ouailles, l’ Allium Cepa fut paré de (puissants) pouvoirs aphrodisiaques qui, pour une fois, semblent réels. Ou plus exactement semblaient, car la culture a beaucoup diminué leurs saveurs et leur force, celles qui perduraient pendant des mois sur les bateaux à bord desquels les marins les emportaient pour lutter contre le scorbut, la maladie à terme mortelle entraînée par le manque de vitamine C.

Mais, les textes anciens qui vantent les pouvoirs libidineux de l’oignon, sans préciser si c’est l’homme ou la femme qui devaient les croquer à belles dents, sont également muets sur un aspect plus trivial : comment parvenir à séduire et approcher l’un ou l’une après avoir ingurgité la quantité (importante) d’oignons nécessaire ? Mais, il y a prescription, ce n’est pas mes oignons. D’autant plus que les siècles passant, une autre méthode se répandit : on raconta à partir du XVIIIème siècle qu’il suffisait à une jeune fille de glisser un (gros) oignon sous son oreiller le soir pour rêver toute la nuit à son amoureux et imaginer qu’il était paré de toutes les vertus. Comment ne pas penser que dans l’argot du début du XXéme siécle, ce sont les fesses que le peuple baptisait oignons. D’où le glissement lexical de s’occuper de ses fesses à s’occuper de ses oignons.

Comme les légendes du XVIII et du XIXème siècle sont celles qui me font le plus rêver, avant même que mes oignons soient mûrs, je vais en mettre régulièrement un sous mon oreiller pour imaginer chaque nuit en rêve que nous avons un vrai gouvernement de gauche et une authentique ministre de l’écologie. Jusqu’à ce que mes dix rangs d’oignons soient épuisés. Après tout, l’oignon fait la force…

Écologie
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