Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon : deux visions de l’Europe

Tandis que l’ex-candidate EELV à la présidentielle croit à une évolution positive des institutions existantes, le leader du Front de gauche estime que seule une rébellion des peuples permettra d’en finir avec l’Europe néolibérale.

Patrick Piro  et  Michel Soudais  • 26 juillet 2012 abonné·es

L’Europe divise la gauche française. Si le caractère néolibéral de l’Union européenne n’est guère contesté, l’attitude à adopter fait débat. Pour aller au-delà de l’actualité et s’interroger sur la nature même de cette Europe, nous avons posé à quelques jours d’intervalle les mêmes questions à deux ex-candidats à la présidentielle, Eva Joly (EELV) et Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche) [^2]. Leurs approches sont très différentes. Malgré des points d’accord sur une partie du bilan du dernier sommet européen, sur la nécessité de changer le statut de la Banque centrale européenne et, plus généralement, sur le caractère insuffisamment ou pas du tout démocratique de l’Union, l’opposition est profonde sur la stratégie à mettre en œuvre. Eva Joly voit de nombreux acquis dans cette Europe, elle croit possible une évolution positive en pesant de l’intérieur sur les institutions ; Jean-Luc Mélenchon est convaincu que seule une « intervention massive » des peuples peut à présent bouleverser la logique actuelle.

On a beaucoup parlé du succès de François Hollande au Conseil européen de Bruxelles les 28 et 29 juin. Quelle est votre analyse ?

Eva Joly : Plusieurs éléments sont à considérer. Ce qui est un succès, c’est l’idée de construire une autorité centralisée de surveillance des banques européennes. C’est l’idée que cette organisation est nécessaire, avant que la Banque centrale européenne (BCE) puisse intervenir directement auprès des banques. En somme, on se sert de la crise, du besoin de recapitalisation des banques et du besoin d’emprunter pour mettre en avant une institution européenne pivot. Pour moi, c’est un progrès. En revanche, ce sommet européen n’est pas un succès : c’est même un trompe-l’œil. Certes, 120 milliards d’euros ont été accordés pour la relance, et c’est ce qui a permis à François Hollande de dire : « Vous voyez bien, j’avais promis de renégocier le traité européen en prenant en compte la croissance, et j’ai obtenu ce que je voulais. » En réalité, il ne s’agit pas de 120 milliards, mais de 10 milliards de fonds nouveaux. Ces 10 milliards de recapitalisation de la Banque européenne d’investissement (BEI) vont certes permettre des projets. Et il y aura un effet levier : lorsque la BEI intervient, les autres banques interviennent. Mais ce ne sont que 10 milliards. Pour le reste des 120 milliards, ce sont des fonds structurels européens qui n’ont pas encore été décaissés, mais qui en réalité étaient déjà engagés. Donc, ce ne sont pas des fonds nouveaux. Et puis il faut raison garder. 10 milliards pour lancer de nouveaux projets dans l’Union européenne, avec 27 pays, c’est peanuts. Et cela a permis quelque chose de très important pour Angela Merkel : que François Hollande accepte d’accorder à la règle d’or un statut particulier inscrit dans une loi organique. La contrepartie n’était pas cher payée. Il est important de limiter l’endettement, mais vouloir arriver à 3 % de déficit en 2013, c’est de la folie, comme je l’ai dit pendant ma campagne. On crée de la récession. Ce qui compte, c’est de prendre le chemin pour y arriver en 2014. Cela aurait suffi à mon sens. C’est donc un sommet en trompe-l’œil, en ce qui concerne la relance. Nous, les écologistes, nous savons que la croissance ne reviendra pas. Nous ne souhaitons pas faire une relance économique avec la construction d’autoroutes et d’infrastructures lourdes. Nous souhaitons que les fonds éventuellement dégagés soient utilisés pour la reconversion écologique de l’économie, ce qui créerait des emplois et de la prospérité. Ce sommet, selon moi, n’a réglé aucun problème.

Jean-Luc Mélenchon : Pour François Hollande, ce n’est pas du tout un succès. Les comptes rendus que j’ai pu lire sur ce sommet sont une mystification. Je ne dis pas cela parce que je serais dans une opposition totale à François Hollande, mais il a gâché une occasion d’obtenir un changement d’orientation de l’Europe. Au lieu de s’appuyer sur son élection pour demander qu’on tienne compte du vote du peuple français, il s’est contenté de peu et a obtenu moins que les Italiens et les Espagnols. Le pacte de croissance est d’un niveau si ridicule qu’il est gênant d’en parler. Les 120 milliards d’euros de ce pacte représentent moins de 1 % du PIB européen, quand les banques ont obtenu, entre décembre et février, que la BCE leur prête 1 000 milliards d’euros à 1 % sur trois ans ! La disproportion des sommes permet de mesurer l’ampleur de la considération du vote des Français. De plus, c’est de l’argent essentiellement déjà inscrit au

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