La chasse fiscale, d’accord, mais avec quels chasseurs ?

Le gouvernement entend lutter contre la délinquance financière. Mais les moyens de contrôle manquent, pour cause de réduction d’effectifs.

Thierry Brun  • 12 juillet 2012 abonné·es

Dans le vibrant appel à la « mobilisation » lancé par Jean-Marc Ayrault lors de son discours de politique générale le 3 juillet, une phrase a laissé pantois un certain nombre de fonctionnaires de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) et de l’administration des douanes, ainsi que des juges chargés de réprimer la délinquance financière. Sans entrer dans le détail, le Premier ministre assurait : « À tous les niveaux, le gouvernement se donnera les moyens de lutter contre la fraude et d’abord l’évasion fiscale », reprenant ainsi l’un des engagements de François Hollande. L’intention est louable, mais incomplète, car le président de la République avait aussi promis d’interdire aux banques françaises d’exercer dans les paradis fiscaux. Ayrault n’en dit pas un mot, ce qui est fâcheux : 600 milliards d’euros se cachent depuis des décennies dans ces repaires de la fraude et de l’évasion fiscales, soit près de 10 % du patrimoine des Français, estime le journaliste Antoine Peillon [^2].

Jean-Marc Ayrault s’engage dans ** une guerre contre la délinquance financière, mais ses lettres de cadrage budgétaires n’offrent aucun moyen. Les effectifs de l’État seront diminués de 2,5 %, excepté dans l’enseignement, la police, la gendarmerie et la justice. Les dépenses de fonctionnement baisseront de 7 % en 2013. « Appliqué à la DGFIP, supprimer 2,5 % d’emplois par an revient potentiellement à supprimer 3 000 emplois chaque année, soit 500 de plus que ce que la RGPP [Révision générale des politiques publiques] imposait chaque année à la DGFIP depuis 2007 », a chiffré Solidaires finances publiques, principal syndicat des impôts, qui rappelle que 14 000 emplois ont été supprimés pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Or, la fraude et l’évasion fiscales se complexifient et nécessitent un renforcement des moyens humains, juridiques et matériels. Ainsi, le cas de Microsoft, géant américain des logiciels soupçonné par Bercy de fraude fiscale en France, a nécessité « 67 inspecteurs et contrôleurs de divers services fiscaux », selon le Canard enchaîné (du 4 juillet), pour un « banal » contrôle fiscal le 28 juin, a assuré un des dirigeants de Microsoft France.

Passé inaperçu, un volet du rapport 2012 de la Cour des comptes tirait le signal d’alarme, relevant que ces moyens « doivent être accrus et recentrés, la gestion des enquêtes améliorée ». Dans le cas de l’escroquerie à la TVA sur les échanges de quotas de CO2 (dont la perte fiscale pour le budget de l’État est estimée par la Cour des comptes à 1,6 milliard d’euros), le rapport souligne que Tracfin, la cellule de lutte contre les circuits financiers clandestins, a pataugé pendant des mois avant d’adresser ses premiers signalements à la justice. Les magistrats réclament eux aussi des moyens : 82 d’entre eux ont cosigné une tribune dans le Monde (du 28 juin 2012), s’inquiétant de l’abandon de la lutte contre la grande délinquance financière. Extrait : « La décennie qui s’achève a vu se déliter les dispositifs de prévention, d’alerte et de répression de la corruption […], comme si les exigences de probité et d’égalité de tous devant la loi s’étaient dissoutes dans la crise .» Au pôle financier de Paris, ** les juges ne sont plus que huit à traquer la corruption financière internationalisée. Une étude de l’OCDE en janvier 2010 a chiffré la délinquance financière à 220 milliards d’euros annuels, soit 11,7 % du PIB français. Selon la Commission européenne, la seule fraude fiscale se situerait entre 2 % et 2,5 % du produit intérieur brut, soit entre 40 et 50 milliards d’euros par an. De quoi renflouer les caisses de l’État. Si Ayrault le veut.

[^2]: Auteur de Ces 600 milliards qui manquent à la France , éditions du Seuil, 2012.

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