Liêm Hoang-Ngoc : « Pas de ratification sans référendum »

Le plan de relance européenne jette les bases d’une union bancaire et budgétaire. Qu’en est-il vraiment ? Décryptage avec Liêm Hoang-Ngoc.

Thierry Brun  • 5 juillet 2012 abonné·es

François Hollande ne renégociera pas le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union européenne (TSCG), nommé aussi pacte budgétaire européen. La ratification du pacte est une condition sine qua non pour la mise en place d’un plan de croissance, dont l’économiste Liêm Hoang-Ngoc détaille ici le contenu.

Un pacte de croissance, un traité d’union budgétaire et une ébauche d’union bancaire ont été décidés par les dirigeants européens les 28 et 29 juin, alors que la crise de la dette dans la zone euro persiste. Y a-t-il des raisons d’être satisfait ?

Liêm Hoang-Ngoc : La victoire de François Hollande a soulevé le couvercle. La France a montré qu’on ne peut pas réaliser de saut fédéral en Europe sans ressources financières à l’échelle communautaire. S’il n’y a pas au niveau fédéral un budget ou des ressources suffisantes pour jouer le rôle que jouaient les budgets nationaux désormais contraints, la seule façon, pour les pays subissant un déséquilibre, de rétablir leur compétitivité, est d’appliquer les « réformes structurelles » néolibérales, que sont la réduction du périmètre des services publics et de la protection sociale ainsi que la « flexibilisation » du marché du travail. C’est précisément cette politique que la droite allemande entend inscrire dans les textes européens.

Des mesures d’urgence ont été prises pour renflouer les banques. Elles sont présentées comme un élément de la « solidarité » financière et comme une « union bancaire ». Qu’en pensez-vous ?

À la demande de l’Espagne, le Mécanisme européen de stabilité (MES) est désormais autorisé à recapitaliser les banques dans le cadre d’une union bancaire placée sous l’égide de la Banque centrale européenne. Celle-ci est chargée de la supervision et de la garantie des dépôts. Si on veut vraiment mettre en place une union bancaire qui ne soit pas perçue comme un nouveau moyen de socialiser les pertes des banques sans contrepartie, il faut une véritable réforme bancaire européenne imposant la séparation des activités de détails et des activités spéculatives. Ce n’est pas encore le cas. Autre nouveauté, les conditions d’interventions du MES, en direction de pays qui ne sont pas sous assistance financière, tels que l’Italie, ont été assouplies. C’est un premier pas important vers une mutualisation des dettes souveraines européennes. L’Allemagne s’y était toujours opposée. Il reste à accorder au MES une licence bancaire pour que ces pays puissent se refinancer auprès de la Banque centrale européenne, qui, dans ce cas, pourrait garantir indirectement, et à traités constants, les dettes souveraines.

N’y a-t-il pas une contradiction entre le fait que des mesures de relance soient mises en œuvre et que l’on impose en même temps une réduction drastique des déficits publics en exigeant la ratification du pacte budgétaire européen ?

La discipline budgétaire stricte dans chaque État est inconcevable sans l’émergence d’un Trésor européen levant l’impôt et l’emprunt européen, dans le but d’accroître substantiellement les ressources du budget communautaire. Ce qui n’est pas encore mûr. Dans les conditions actuelles, la règle d’or d’équilibre budgétaire consigne les pratiques néolibérales en matière de politique budgétaire. L’inscrire dans une Constitution fermerait considérablement le débat démocratique sur la politique économique. Il est souhaitable que la ratification d’un traité international susceptible d’entraîner une modification des règles constitutionnelles françaises se fasse par référendum.

Est-ce que le pacte de croissance apporte les moyens nécessaires à la résolution de cette crise de la dette ?

Le budget communautaire européen représente seulement 1 % du PIB de l’Union européenne, à comparer avec le budget fédéral américain qui dépasse 20 % du PIB des États-Unis. Dans les principaux pays de la zone euro, le budget d’investissement d’un État représente 3 % du PIB. Si on raisonne uniquement en termes de budget d’investissement, la capacité de 120 milliards d’euros supplémentaires, décidée au sommet, revient à doubler le budget d’investissement de l’Union européenne, ce qui est déjà une prouesse. Mais le gros problème, c’est que les initiatives annoncées prendront corps à moyen terme. La recapitalisation de la Banque européenne d’investissement (BEI) nécessite 10 milliards, que les États membres sont incapables de mobiliser en 2012, compte tenu des objectifs de réduction des déficits publics. Les project bonds sont des obligations privées garanties par l’Union, qui peuvent être émises pour des projets communautaires d’investissement, mais ces emprunts sont restreints en raison de la faiblesse des budgets d’investissement nationaux et communautaires. Les 55 milliards de fonds structurels ne sont pas utilisés certes, mais, pour l’essentiel, ils n’ont pas été prélevés sur les États et ne sont donc pas immédiatement disponibles. Quant à la taxation des transactions financières, elle doit faire l’objet d’une procédure de coopération renforcée qui n’est pas immédiate. Toutes ces perspectives sont intéressantes à moyen terme, mais la zone euro est en train de plonger dans la récession.

Comment faire face à la récession si le pacte de croissance ne peut être mobilisé rapidement ?

C’est le problème auquel tous les gouvernements vont être confrontés. Peu d’États seront en mesure de respecter le calendrier de réduction des déficits, sauf à mettre en œuvre des politiques de rigueur qui vont plonger l’Europe dans une récession durable. Les déficits ne se réduiront pas parce que les recettes fiscales seront insuffisantes et on ira au-devant d’une nouvelle crise des dettes souveraines avec une défiance des marchés.

Que faudrait-il faire pour répondre à cette urgence du moment ?

Mario Monti, président du Conseil italien, a fait deux propositions qui seront rapidement d’actualité. La première est de repousser le calendrier de réduction des déficits, ce qui permettrait de laisser jouer ce que les économistes appellent les « stabilisateurs automatiques », et donc de faire fonctionner les amortisseurs sociaux en évitant de comprimer des dépenses essentielles susceptibles de soutenir le pouvoir d’achat et la reprise. La deuxième proposition consiste à exclure du calcul des déficits publics les sommes consacrées à l’investissement. Dans un pays comme la France, elles représentent plus de 3 % du PIB. Ce qui permettrait de distinguer la bonne dette – celle qui finance l’investissement –, et la mauvaise, celle qu’on peut réduire notamment par la mise en place d’une bonne réforme fiscale.

Monde Économie
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