Soudan : La colère d’un peuple

Depuis le 16 juin, les Soudanais manifestent contre la vie chère. Le mouvement se politise contre le régime d’Omar el-Béchir.

Laurène Perrussel-Morin  • 5 juillet 2012 abonné·es

« Hourriya » (liberté), scandent les manifestants dans les rues de Khartoum, la capitale du Soudan, où la tension ne retombe pas depuis trois semaines. Les policiers, auxquels le gouvernement a expressément demandé de mettre fin aux manifestations, usent de gaz lacrymogènes et de matraques. Malgré cela, les opposants au régime étaient encore nombreux le 29 juin à réclamer la chute du « dictator ». Les étudiants ont été rejoints par de nouveaux cercles, tels que les avocats, qui protestent contre l’absence de liberté d’expression.
Omar el-Béchir tente désespérément de reprendre l’initiative par une violence qui entretient l’illusion du pouvoir absolu. Les premiers visés sont bien sûr les militants et les journalistes, enfermés dans des « prisons fantômes » qui ne permettent aucune communication avec l’extérieur. Un des journalistes de l’AFP a été détenu pendant vingt-quatre heures sans contact avec sa rédaction. Les communications mobiles et Internet ont été brouillées le 29 juin, le but étant d’empêcher les manifestants d’utiliser les nouveaux réseaux qui ont permis l’organisation des « révolutions arabes » en 2011.
Ce n’est pas la première fois que les Soudanais s’opposent à leur gouvernement. En 1964, une grève étudiante avait contribué à renverser la dictature militaire en place, sans d’ailleurs que le pays n’accède pour autant à la démocratie. L’an dernier, des émeutes avaient éclaté dans tout le pays. Omar el-Béchir avait alors organisé une violente répression policière.


Pourquoi des revendications sociales de cette ampleur ressurgissent-elles aujourd’hui ? Le Soudan est affaibli, tant économiquement que politiquement. En se séparant du Soudan du Sud en juillet 2011, Khartoum renonçait aux trois quarts de ses revenus pétroliers. Cette perte de ressources n’est que partiellement responsable de la hausse du coût de la vie qui touche actuellement les Soudanais. Les inégalités se sont aggravées ces dernières années : la colère monte après l’annonce de mesures drastiques, le 18 juin, par le gouvernement, qui aboutissent à la réduction des effectifs de la fonction publique, à la hausse des taxes et à la suppression des subventions sur les carburants… Autant de décisions qui toucheront en premier lieu les classes moyennes à bout de nerfs.


Certains observateurs font le lien avec les révolutions arabes. En effet, les manifestants n’hésitent pas aujourd’hui à s’opposer frontalement au gouvernement. Le 29 juin, les manifestations organisées à l’occasion des vingt-trois ans de règne sans partage d’Omar el-Béchir ont donné lieu à près de mille arrestations. 
Une application stricte de la charia pèse aujourd’hui sur le pays. Le Soudan, divisé entre de nombreux groupes ethniques chrétiens et arabo-musulmans, connaît des tensions qui se sont accentuées avec l’arrivée d’el-Béchir au pouvoir, faisant de l’islam la religion officielle du régime jusqu’en 2005.
Affaibli à l’intérieur du pays, le président soudanais est isolé sur la scène internationale. La Cour pénale internationale a lancé contre lui en mars 2009 un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité, complété en juillet 2010 par une condamnation pour crimes de guerre et génocide au Darfour. El-Béchir est accusé de violences systématiques à l’encontre des Fours, des Masalit et des Zaghawa, trois ethnies ayant pris part au conflit de 2003 au Darfour. Selon Human Rights Watch, il aurait armé les milices arabes Janjaweed à l’origine de nombre de ces crimes, tout en empêchant le travail des ONG sur place. Cela n’empêche pas certains États africains de l’accueillir. Il a également pu se rendre en Chine en avril 2011 sans être inquiété.

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