Une renaissance verte

Il y a sept ans, Katrina semait la désolation à la Nouvelle-Orléans. Le quartier le plus touché a choisi de se reconstruire sur un mode écologique. De notre envoyé spécial, Alexis Buisson.

Alexis Buisson  • 30 août 2012 abonné·es

Si le bout du monde devait ressembler à quelque chose, il aurait sûrement l’air du ­croisement des rues Charbonnet et Chartres. Là, dans l’extrême sud du Lower Ninth Ward, dans l’est de la Nouvelle-Orléans, aucune voiture ne circule. Les quelques habitations aux alentours paraissent vides. Seul le bruissement des herbes hautes ballottées par le vent donne à ce paysage un semblant de vie.

Nous sommes à quelques pas du Mississippi. Le 29 août 2005, sous l’effet de Katrina, le fleuve est sorti de son lit, semant la désolation dans le quartier. Les ­maisons furent emportées, des vies interrompues, une communauté déchirée. Mais Jenga Mwendo ne l’a pas entendu de cette oreille, sans doute parce qu’elle a grandi là. Il y a deux ans, cette mère de deux enfants a décidé d’ouvrir un jardin ­communautaire au coin de Charbonnet et Chartres. Son ambition : donner aux quelques locaux qui sont restés, ou revenus après l’ouragan, un lieu pour cultiver des herbes, des citrons et même des tomates, et se retrouver entre voisins. L’espace minuscule comprend une table et quelques chaises. Des allées de gravier blanc relient les cultures. « Il n’y avait rien ici. Pas d’arbres, pas de bancs, pas de trottoir, se souvient-elle. L’un des avantages du jardin est l’embellissement. Cela ne doit pas être sous-estimé. Les passants voient que c’est un endroit entretenu et aimé. »

Le petit jardin de Jenga Mwendo est l’une des nombreuses initiatives vertes visant à revitaliser le Lower Ninth Ward. Habitations écologiques, fermes urbaines, et même un écovillage : une mini-révolution verte est en cours, pilotée par un tissu dense d’associations et de résidants. « Quand la digue a cédé, le quartier a été dévasté. Il n’y avait plus qu’une ou deux maisons qui tenaient debout , souligne Laura Paul, directrice de LowerNine.org, une des organisations engagées dans la reconstruction. Si vous cherchez une cour de récréation pour des idées innovantes, et des gens qui y sont ouverts, c’est l’endroit idéal. »

Une renaissance écolo improbable pour ce quartier historiquement afro-américain qui cumulait les difficultés : délinquance, enclavement, pauvreté. Katrina et Rita y ont presque tout détruit. Sept mois après la catastrophe, les personnels de secours de la Fema, l’agence fédérale de management des crises, sortaient toujours des corps des décombres. Les habitants qui ont survécu ont dû quitter le quartier pour s’installer dans des mobile homes censés être temporaires, ou reconstruire leur vie ailleurs.

Sept ans plus tard, la vie de quartier reprend. Les digues ont été reconstruites, plus grandes et plus résistantes. Plus de 28 % des 15 000 habitants sont revenus. Au sud de North Claiborne Avenue, l’artère qui traverse le Lower Ninth, la population a retrouvé ses maisons relativement préservées – cette partie-là du Lower Ninth, également appelée Holy Cross, se trouve au-dessus du niveau de la mer. En 2009, le nombre d’habitations occupées y a crû de 287, soit la plus grande augmentation enregistrée dans toute la ville. Au nord de l’avenue, en revanche, les stigmates de la tragédie se font toujours sentir. La zone, en dessous du niveau de la mer, a des allures de jungle par endroits. Herbes à ­hauteur d’homme, grésillement des criquets, habitations clairsemées, débris : la reconstruction prendra plus longtemps.

C’est pourtant dans cet environnement que Deirdra Taylor est revenue. Cette mère de famille, qui avait acheté une maison dans le Lower Ninth juste avant Katrina, habite à quelques rues de la digue défectueuse. Comme d’autres, Deirdra doit son retour à l’acteur Brad Pitt, dont la photo trône en évidence dans son salon. En décembre 2006, il a lancé le programme Make It Right, visant à bâtir 150 habitations vertes, réputées « sûres » et « abordables » . Près de la moitié sont construites, dans le même alignement. Celle de Mme Taylor ressemble à une boîte à chaussures percée de fenêtres. Elle est montée sur des piliers de manière à la maintenir hors d’eau en cas d’inondation et comporte des panneaux solaires, des équipements à basse consommation énergétique et un jardin qui peut servir d’éponge en cas de précipitations trop importantes. Prix moyen pour un duplex : 200 000 dollars, payables à l’aide des nombreux programmes fédéraux pour les anciens habitants du Lower Ninth, et aussi d’emprunts auprès de l’association.

Résultat : Deirdra Taylor ne débourse que 600 dollars par mois pour honorer ses ­engagements. « Quand j’ai entendu que Brad Pitt faisait ce projet, j’ai voulu revenir. Le quartier est mieux qu’avant. La criminalité y était forte. Aujourd’hui, il est plus sûr » , souligne-t-elle.

« La moitié des habitants, avant Katrina, étaient propriétaires. Dans les années qui viennent, cela veut dire que 75 % des habitants pourraient revenir, estime Thom Pepper, directeur des opérations à Common Ground Relief, une autre association à l’origine de logements verts. Le plus grand obstacle au retour est la bureaucratie : il y a tellement de programmes et d’agences qu’il est difficile de s’y retrouver. On en vient à se dire : “N’ai-je pas répondu huit fois à cette question déjà ?” C’est frustrant. »

La bureaucratie n’est pas le seul obstacle au retour. Sept ans après, le Lower Ninth manque toujours de services élémentaires. Le quartier ne compte qu’une seule école et un supermarché, et n’a toujours ni caserne ni commissariat. « On m’a cambriolé trois fois », raconte Tray, rencontré devant sa maison placardée de planches. « Je les ai mises là pour éviter de me retrouver nez à nez avec un cambrioleur. »

« Nous sommes séparés du reste de la ville par un canal. C’est une barrière aussi bien physique que psychologique » , observe Tracy Nelson, présidente du Center for Sustainable Engagement and Development, une ONG dont l’objectif est de repeupler le quartier et de promouvoir l’engagement civique au niveau local. « Il est difficile de faire venir des promoteurs immobiliers ou certains services municipaux de ce côté-ci du canal. Par exemple, le programme de plantation d’arbres s’arrête aux portes du quartier. »

Embellir, réaménager, ramener un semblant de vie dans le quartier, c’est ce que s’emploient à faire les volontaires de LowerNine.org. En 2008, l’association a investi une parcelle de terre dans le nord du Lower Ninth pour en faire une ferme urbaine à disposition des habitants. Ils y cultivent des fruits, des légumes et des herbes à l’aide d’équipements fournis par des partenaires. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà beaucoup dans ce désert ­alimentaire. « Nous ­apprenons au fur et à mesure » , reconnaît Matt Sheard, qui s’occupe de la ferme au sein de l’association. Pour lui, elle n’a pas uniquement vocation à proposer des produits frais. « Les gens reconnaissent sa valeur esthétique. Il n’y a pas grand monde dans le coin mais, si vous emménagiez ici, que préféreriez-vous avoir en face de chez vous : un bloc bien entretenu avec du passage, ou un morceau de terrain avec des herbes hautes, des rats et des insectes ? »

Aujourd’hui, le Lower Ninth Ward est prisonnier d’un cercle vicieux : comment attirer la population dans un quartier sans services publics ni commerces, alors que ces derniers ne sont pas incités à s’y implanter en raison de la faible population ? « Nous avons besoin de plus de personnes. Dans certains endroits, on voit toujours les herbes hautes et des restes de ­maisons. C’est comme si Katrina existait encore. Le quartier a besoin de plus d’enfants et d’infrastructures pour les familles » , souligne Deirdra Taylor.

Dans le sud du Lower Ninth Ward, Linda Morgano acquiesce. L’ONG qu’elle représente, Global Green, ambitionne d’y créer un écovillage. Cinq maisons vertes ont déjà été construites et un immeuble de 18 unités doit voir le jour non loin. « Le quartier a besoin de plus de services et de commerces » , insiste-t-elle. Global Green envisage d’ouvrir prochainement un centre communautaire à destination des locaux pour répondre à ce manque. « Nous allons y inclure un espace de vente de produits frais. Car aujourd’hui, c’est le désert. Il faut aller assez loin pour s’acheter une pomme, à la différence de la bière et des cigarettes. »

Le 29 juin, les habitants ont appris que l’Église baptiste de la Nouvelle-Orléans avait acquis un terrain dans le sud du quartier pour développer un centre de soins. Le premier depuis Katrina. Les artisans de la renaissance du Lower Ninth espèrent que d’autres projets poursuivront ce long chemin vers la normalisation. « Je suis optimiste, souligne Vincent Fedeli, maçon qui travaille là. Le potentiel vient de l’intérieur de la communauté. C’est excitant de voir cela. »

Écologie
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