Apnée présidentielle

François Hollande, sur TF1 le 9 septembre, n’a pas trouvé une seconde pour évoquer le traité qui conditionne toute sa politique économique et sociale.

Denis Sieffert  • 13 septembre 2012 abonné·es
Apnée présidentielle
Politis vous donne rendez-vous pour partager le pot de l’amitié sur notre stand, samedi midi, au Village des livres de la Fête de l’Huma. Nous serons heureux de vous y rencontrer…

On en a eu le souffle coupé. Lui aussi, parfois, paraissait au bord de l’asphyxie. Dimanche soir, sur TF1, François Hollande a inventé la campagne électorale en vingt-cinq minutes. Tout un programme le temps d’un entretien télévisé. Six mois d’estrades, de débats, de voyages, de poignées de mains, de promesses, de projets, de petites phrases, d’arguments pour et d’arguments contre, résumés avec l’éloquence haletante d’un commentateur de course de chevaux dans la dernière ligne droite. Sans doute le président de la République revenait-il du « diable vauvert » dans les sondages. Et sans doute a-t-il voulu clouer le bec à ceux qui lui reprochaient, depuis le début de l’été, une certaine indolence. À coup sûr, dans l’instant, cet empilement de mesures et de dates a fait illusion.

Mais à la fin, que reste-t-il ? La mémoire collective, dieu merci, est sélective. Elle retient l’essentiel. Et l’essentiel ici, ce n’est pas le « chômage », ni les « inégalités », c’est évidemment la « dette », cette hydre obsédante qui dévore toutes nos énergies. Le chômage, bien sûr, a été évoqué, mais c’est un peu l’alouette du pâté. Curieusement, avec la « dette », ce sont des mots qui n’ont pas été prononcés qui surnagent dans ce flot de paroles : « austérité », par exemple (mais quand donc les politiques appelleront un chat un chat ?), ou « flexibilité », dont François Hollande a donné une parfaite définition, mais en faisant assaut de circonlocutions. Mais il y a plus fâcheux encore dans cet entretien. Un oubli majeur. Sidérant même. Pas un instant, il n’a été question du traité européen, le fameux pacte budgétaire et sa disposition la plus controversée, la « règle d’or ». On avait pourtant cru comprendre que c’était la grande affaire de la rentrée. Et le dossier le plus névralgique au sein de la majorité. La pomme de discorde entre le Premier ministre et les Verts. Et que se dessinait une sévère ligne de fracture au sein même du Parti socialiste. On avait eu l’impression que plusieurs ministres, à la fois animateurs de leur mouvement ou de leur courant, et fermement invités à la solidarité gouvernementale, vivaient ce débat comme un déchirement. Eh bien François Hollande n’a pas trouvé une seconde pour évoquer cette affaire qui conditionne toute sa politique économique et sociale, et suppose de lourds transferts de souveraineté – n’en déplaise à ces Messieurs du Conseil constitutionnel. À une semaine du Conseil des ministres qui l’a inscrit à son ordre du jour, et à deux semaines de l’ouverture du débat budgétaire, pas une allusion ! Au passage, on peut aussi s’étonner (mais plus rien dans ce domaine ne devrait nous étonner) que Claire Chazal n’ait pas au moins fait une tentative pour mettre le sujet sur la table.

Il fut bien question en revanche de la fameuse taxe à 75 % qui devrait frapper les revenus supérieurs à un million d’euros. Une mesure finalement assez marginale dans le programme de François Hollande, mais qui devait être symbolique de la volonté d’un Président de gauche de s’attaquer aux plus hauts revenus. Hélas, la taxe en question est en train de symboliser autre chose : l’éternelle propension des socialistes à se dérober devant l’obstacle. Il aura suffi que Mme Parisot fasse les gros yeux pour que le dispositif soit adouci et perde tout son sens politique. François Hollande a annoncé dimanche soir que seuls seraient taxés les revenus d’activité. « Sans exception », a-t-il précisé avec des airs de Matamore. « Sans exception » les revenus d’activité, soit, mais pas les revenus du capital. Un pas en avant, deux pas en arrière… Un autre événement pourtant est intervenu, au cours du week-end, qui devrait permettre à la gauche – puisque ce n’est pas déjà fait – de prendre la mesure de l’âpreté du combat, et de la détermination de l’adversaire. Quelles que soient ses dénégations, Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France, a bien accompli un acte politique en annonçant qu’il avait demandé la nationalité belge. Ce personnage, dont on dit qu’il gagne un million d’euros par mois (la taxe de M. Hollande vise ceux qui gagnent plus d’un million par an) juge insupportable de reverser 3 millions (c’est à peu près ce que lui coûterait l’impôt nouveau) au fisc, c’est-à-dire à la collectivité. Les dirigeants de l’UMP ont immédiatement applaudi la « fuite à Varennes » du milliardaire. Et ils se sont même inventés une morale.

Le toujours cynique Jean-François Copé a trouvé que cette fuite avait des « vertus pédagogiques » puisqu’elle met en évidence la dérive quasi bolchévisante des socialistes. Braves gens, volez, tuez, pillez, et vous mettrez en évidence l’incompétence du gouvernement en matière de sécurité et de justice ! En vérité, l’épisode a d’autres vertus pédagogiques. Il nous rappelle que l’enrichissement sans limite a besoin pour être tolérable de s’ancrer dans une philosophie. Oubliant la façon dont il a constitué son empire dans le domaine du luxe, Bernard Arnault est sans doute convaincu qu’il vaut bien son immense fortune, et que le smicard, ce gueux, lui est mille fois inférieur. Quelque chose comme un état de nature qui, comme le disaient les philosophes anglais du XVIe siècle, est aussi un état de guerre.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes