Berlin choisit l’intégration des Roms

Alors que la France démantèle les campements, la capitale allemande mise sur l’insertion sociale et professionnelle des ressortissants roumains et bulgares. De notre correspondante à Berlin, Rachel Knaebel.

Rachel Knaebel  • 6 septembre 2012 abonné·es

Les murs de l’association berlinoise Südost Europa Kultur sont couverts de photos grand format et encadrées. Elles montrent des jeunes gens, appareils numériques à la main. Ils sont tous roms, vingt filles et garçons de 15 à 24 ans, arrivés il y a peu dans la capitale allemande. Ils ont participé ici, pendant six mois, à un programme soutenu par la ville et l’Europe. Ces jeunes « ont appris des bases de langue et pris part à des ateliers de couture, de bois, de métal, découvert la ville, les musées », explique Bosiljka Schedlich, directrice de la structure qui existe depuis 1991. Aujourd’hui, ils sont en stage en entreprise. L’un d’eux, entre-temps, a réussi le test pour entrer au collège, et un nouveau groupe a pris le relais début août. Comme en France, de nombreux Roms de Roumanie et de Bulgarie sont venus en Allemagne depuis l’entrée des deux pays dans l’Union européenne, en 2007. La capitale comptait à elle seule, fin 2011, 16 000 Roumains et Bulgares de plus qu’en 2006, dont beaucoup de Roms, selon la municipalité. Pourtant, l’Allemagne connaît peu le phénomène des campements et expulse peu : à peine 260 Roumains et 70 Bulgares [^2] renvoyés par avion dans leurs territoires d’origine l’année dernière.

La gauche française n’est pas à un paradoxe près. D’un côté, le gouvernement continue de démanteler, à coups de matraque, les camps illicites – ce qui lui a valu, la semaine dernière, un rappel à l’ordre des Nations unies condamnant ces « traitements discriminatoires ». De l’autre, il se montre plutôt progressiste. Une circulaire, signée par six ministres le 22 août, va ainsi, notamment, dans le sens d’une ouverture du marché du ­travail français aux Roms, comme n’importe quel citoyen d’un pays membre de l’Union européenne y a droit. Le texte lève partiellement les entraves contenues dans la série de « mesures transitoires » théoriquement en vigueur jusqu’à fin 2013. Principale mesure supprimée : la taxe payée par les employeurs à l’Office français d’immigration et d’intégration (OFII), équivalant à plusieurs centaines d’euros pour les petits contrats, et à 50 % de la paie brute pour les contrats de plus d’un an, pour l’embauche de salariés de nationalités roumaine et bulgare. Un « premier pas » salué par Malik Salemkour, vice-président de la Ligue des droits de l’homme, qui note toutefois que ni l’obligation de présenter une autorisation préfectorale pour travailler ni la liste limitative des 150 métiers en tension (BTP, hôtellerie, agriculture…) ouverts aux Roms n’ont été supprimées : « On garde un traitement différencié qui n’a pas lieu d’être. Ce n’est pas ainsi qu’on va aider les gens à s’insérer ! » Une ambivalence qui se retrouve tout au long de la circulaire : si elle pose de « bons principes » , note Malik Salemkour, elle n’en débute pas moins par un chapitre sur… l’évacuation de ces populations. Les Roms, victimes expiatoires des tiraillements idéologiques au sein même du pouvoir…
À Berlin, la ville a même pris le parti d’une politique résolue d’intégration. Le pays a déjà connu des vagues d’arrivées de Roms. Ils faisaient partie des travailleurs étrangers recrutés dans les années 1960 et des centaines de milliers de réfugiés d’ex-Yougoslavie et du Kosovo accueillis dans les années 1990. La nouvelle migration a toutefois surpris les autorités berlinoises. « Au début, c’était comme en France. Des Roms qui venaient d’arriver et ne savaient pas où aller dormaient dans des parcs, la police venait parfois les expulser et la ville leur donnait de l’argent pour qu’ils s’en aillent », rapporte Bosiljka Schedlich. Berlin a offert, contre leur départ, 250 euros par adulte à des centaines de Roms à la rue ou hébergés dans des foyers de demandeurs d’asile. « Mais, depuis, les administrations et les politiques ont revu leurs positions. » Les éducateurs de rue ont pris le relais des policiers. « La municipalité a vu que ça aidait les Roms et favorisait la paix sociale. » Une fois le contact noué, les nouveaux arrivants savent comment inscrire leurs enfants à l’école ou travailler comme indépendants. Comme en France, les ressortissants roumains et bulgares ont encore un accès limité, jusqu’à fin 2013, au marché du travail allemand. Leur seule véritable possibilité reste l’équivalent de l’auto-entreprise. « Mais, s’ils lancent leur activité et gagnent d’abord trop peu pour en vivre, ils peuvent bénéficier, au bout de trois mois, d’aides pour le logement et l’assurance maladie », explique Arnold Mengelkoch, chargé des questions de migration dans le quartier berlinois de Neukölln.

C’est ici que la plupart des Roms européens arrivés à Berlin ces dernières années ont élu domicile, en partie dans des immeubles délabrés loués par des marchands de sommeil. « Nous avons dans les écoles du quartier vingt nouvelles inscriptions par mois d’enfants roms, qui ne parlent pas ou peu l’allemand. Ils sont 700 aujourd’hui », signale le responsable. Alertée par les instituteurs, l’administration d’arrondissement a lancé, en 2011, un programme de cours de vacances pour ces nouveaux élèves, pendant l’été, les congés d’automne et de Noël. Le quartier a ensuite embauché douze éducateurs-interprètes en bulgare et en roumain.

« L’intégration de ces personnes n’est pas un problème. Mais, pour que ça marche, il faut l’éducation », insiste Arnold Mengelkoch. L’approche de Neukölln a fait école dans la ville. La municipalité de Berlin a adopté, en juillet, une « stratégie d’intégration des Roms étrangers » en partant du principe qu’ils « vont séjourner de manière durable et légale ». Le programme prévoit 300 000 euros à ce titre dans le budget 2012-2013. Pour Bosiljka Schedlich, « cette politique n’est pas une invitation à tous les Roms d’Europe, mais un exemple montrant comment une ville peut appréhender la situation de manière positive ». Et sortir des personnes de l’exclusion. Comme cette jeune femme de 25 ans que Südost Europa Kultur a rencontrée lorsqu’elle lavait les vitres des voitures aux carrefours. Aujourd’hui, elle cuisine à l’association et apprend l’allemand. Son fils de trois ans va tous les jours au jardin d’enfants.

[^2]: Source : réponse du gouvernement à une question écrite du groupe Die Linke au Bundestag, mars 2012.

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