De Charybde en Scylla

Gérard Duménil  • 13 septembre 2012 abonné·es

Il y a un an à peine  [^2], je décrivais la crise actuelle aux États-Unis et en Europe comme un « feuilleton à épisodes ». Le premier épisode fut celui de la crise proprement financière de la fin de 2008, associé à l’entrée en récession. Le second fut la crise des dettes des États, résultant d’années de déficits budgétaires. Alors que les États-Unis semblent s’accommoder de déficits du gouvernement de l’ordre de 10 % du PIB, on sait quelles tensions provoque la poursuite des déficits en Europe, notamment dans les pays les moins robustes. Dès l’année dernière, il était facile de pronostiquer l’entrée dans la nouvelle phase, celle où nous pénétrons maintenant, à savoir la nouvelle récession. Car, on ne saurait se leurrer, l’enchaînement qui se met actuellement en place sera de nature cumulative, et vers le bas. Il était également facile de prédire que sa gestion serait « chaotique ». Nous y sommes presque.

On s’attendrait donc à voir les dirigeants européens s’alarmer et travailler à la mise en œuvre des politiques susceptibles de remédier à cette situation. De quoi parlent donc nos gouvernements ? Des politiques qui, à leurs yeux, auraient été susceptibles de remédier à la phase précédente de la crise, à savoir la contraction des dépenses de l’État, supposée corriger les déficits. D’abord, les coupures budgétaires ne pouvaient produire un véritable redressement des finances publiques, mais seulement hâter la survenue de la nouvelle récession. Plus grave encore, la poursuite aveugle des politiques d’austérité dans la conjoncture actuelle révèle l’incapacité à prendre la mesure de la rapidité avec laquelle nos économies entrent dans cette troisième phase qui marque un approfondissement de la crise. Quelles mesures sont envisagées pour faire face à la contraction qui commence ? Aucune. On ne saurait reprocher aux dirigeants européens d’avoir une crise de retard, car ces enchaînements sont les étapes d’une seule et même grande crise, celle du capitalisme néolibéral, mais ils sont bel et bien en retard d’une phase. Bilan général : première phase, non anticipée ; deuxième phase, traitée a contrario ; troisième phase, pour l’heure, niée.

En Europe, le débat concernant le traitement de la crise est obscurci par celui d’un éventuel démantèlement de la zone euro, partiel (la sortie de quelques pays) ou général. À supposer qu’une telle procédure soit mise en place dans les meilleures conditions imaginables – de loin les moins probables –, elle n’aurait pour effet que de gommer partiellement les inégalités entre pays. Le réajustement des taux de change effacerait, peut-être, le différentiel de compétitivité entre l’Allemagne et la Grèce. Dommage pour la première, tant mieux pour la seconde, par ailleurs encore plus incapable de payer ses dettes à la suite de la dévaluation de sa nouvelle monnaie, donc en superfaillite… Mais l’Europe, dans son ensemble, ne sortirait pas le moins du monde de la crise. « Débarrassés du leadership allemand, nous pourrions, enfin, mener de nouvelles politiques, vraiment de gauche ! », nous dira-t-on. Il est doux d’espérer.

[^2]: Voir « À contre-courant », dans le n° 1172 de Politis (13 octobre 2012).

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Traité européen : Et si on disait non
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