Dominique Garabiol : « L’austérité continuerait quand même »

Dominique Garabiol, universitaire et directeur de banque, envisage la réaction des marchés en cas de non-ratification.

Thierry Brun  • 13 septembre 2012 abonné·es

Les grandes banques internationales et les agences de notation ont planché sur différentes stratégies avec ou sans le traité budgétaire européen. Sans évoquer le traité, Patrick Artus, directeur de la recherche économique chez Natixis, a ainsi indiqué dans une note publiée récemment que « la stratégie présente de la zone euro a montré qu’elle ne marchait pas [^2] ». Pour Dominique Garabiol, directeur de banque et professeur d’économie associé à Paris-VIII, la France continuerait de mener une politique d’austérité répondant aux attentes des marchés financiers.

L’hypothèse de la non-ratification du traité par la France a-t-elle été étudiée par les banques ?

Dominique Garabiol ≥ Les grandes banques internationales ont travaillé sur deux scénarios. Elles ont envisagé un éclatement de la zone euro avec l’euro du Sud et l’euro du Nord, sans que la position de la France soit bien établie. Il est clair que la France est au Sud mais que, politiquement, il lui faudra se rattacher au Nord. Les banques ont aussi étudié un scénario de sortie de la Grèce et peut-être d’autres pays marginaux. La sortie de la Grèce et du Portugal ne poserait pas de problèmes majeurs, mais si l’Espagne devait quitter la zone euro, celle-ci serait mise en cause.

Le rejet du traité aurait-il pour conséquence d’affaiblir la France ?

Il faut étudier simultanément la réaction de la France et celle de l’Allemagne. Est-ce que l’Allemagne utiliserait cet événement pour rompre avec la politique de l’euro ? Quelle serait la stratégie du gouvernement français ? On peut imaginer un scénario où le gouvernement français, en réaction à son échec au référendum, réaffirmerait plus fortement la poursuite des politiques d’austérité. À ce moment-là, les marchés financiers réagiraient bien. Les expériences passées montrent en effet que, à chaque fois qu’il y a eu un « non », les gouvernements sont revenus sur la décision populaire. On peut très bien imaginer que, le soir du référendum, le Président intervienne pour expliquer qu’il soutiendra les objectifs budgétaires de la France et qu’il s’alignera sur les objectifs initiaux de retour à l’équilibre en 2017. Le référendum serait alors un non-événement.

Le gouvernement pourrait aussi accepter le verdict populaire…

Dans le cas où le référendum entraînerait un changement de politique de la France, l’Allemagne serait en difficulté et devrait trouver une réponse. Si elle voulait absolument sauver la monnaie unique (sachant que ce pays est le grand gagnant de l’euro et a un intérêt objectif à conserver cette monnaie), elle accepterait les interventions de la Banque centrale européenne (BCE). Celle-ci jouerait plus encore le rôle de sauveur de l’euro, et on assisterait à une accélération de l’intégration européenne. Mais si l’Allemagne adoptait une autre politique, on pourrait aussi avoir des effets favorables, dans le sens où l’euro devrait sensiblement baisser sur le marché des changes du fait de l’incohérence politique de la construction européenne. On sait bien que le taux de change est déterminant pour les pays périphériques de l’euro. Cela pourrait les aider et pénaliser l’Allemagne, parce que les marchés savent très bien qu’elle tire profit de l’euro. En sortant de l’euro, le mark serait réévalué et les autres monnaies dévaluées, ce qui correspondrait à un rééquilibrage européen. À vrai dire, le seul scénario vraiment négatif serait celui où les pays périphériques seraient pénalisés par les marchés financiers, et pas l’Allemagne. On en voit les effets depuis trois ans, parce que l’Allemagne tient l’euro au travers d’un relatif consensus politique. Mais si ce consensus éclate, ce sera plutôt bon pour les pays périphériques. En tout cas, je ne pense pas envisageable un scénario catastrophe où les pays périphériques seraient massacrés au profit de l’Allemagne.

L’euro pourrait-il être maintenu ?

L’euro serait maintenu si le gouvernement français prenait l’initiative d’appliquer le traité en dépit du rejet par un référendum. On aurait dans ce cas un gouvernement qui en rajouterait en matière de politique d’austérité, ce qui me paraît le scénario le plus probable. L’Allemagne accepterait ou non la décision de la France. Si elle acceptait le « non », de facto l’euro serait sauvé. Si elle le refusait, on irait vers une explosion de l’euro. Dans ce cas, ce ne serait pas forcément mauvais pour les autres pays européens. Je ne suis pas d’accord avec la thèse dominante qui dit que la sortie de l’euro représenterait un coût faramineux pour les pays périphériques. Cela n’a jamais été vrai. La dévaluation compenserait une grande partie du coût de la sortie de l’euro. Par ailleurs, le traité est inapplicable en l’état actuel. On voit que certains articles du traité de Lisbonne sont violés quotidiennement. Aujourd’hui, l’Europe est un animal bizarre, post-démocratique, qui bafoue ses traités. L’Europe est devenue un espace technocratique, censitaire, où il y a une logique économique très autonome, qui s’est arrogé un poids extraordinaire.

[^2]: Comment sortir de la crise de la zone euro ? , Patrick Artus, Flash économie, Natixis, 30 août 2012.

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Traité européen : Et si on disait non
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