États-Unis : Une élection cher payée

En levant toute limitation au financement des campagnes électorales, la Cour suprême a renforcé le pouvoir de la finance.

Denis Sieffert  • 13 septembre 2012 abonné·es

Alors que les flonflons des deux Conventions de Tampa (Floride) et de Charlotte (Caroline du Nord) occupaient les médias, la campagne présidentielle américaine se jouait aussi, et peut-être surtout, sur un autre terrain : celui de la course au financement. Et là les choses vont plutôt bien pour Barack Obama. Si les chiffres du chômage sont mauvais, ceux de son trésor de guerre sont plutôt bons…

Au mois d’août, le camp démocrate a levé 114 millions de dollars auprès d’un million cent mille contributeurs, dont 317 000 nouveaux « mécènes ». Au cours de la même période, Mitt Romney n’aurait – si l’on ose dire – recueilli que 111 millions de dollars. Faute d’autres indications, les commentateurs de la presse américaine se sont emparés de ces chiffres pour en tirer une leçon politique. Le richissime et très libéral Mitt Romney, qui faisait la course en tête pour le fric, a été pour la première fois devancé par Obama à partir du moment où il a rendu public le nom de son colistier, l’ultra-droitier Paul Ryan, proche du Tea Party, mouvement populiste, réactionnaire sur les questions sociétales, et xénophobe. De là à imaginer que celui-ci effraie les milieux d’affaires, il n’y a qu’un pas que franchissent beaucoup d’analystes. Le problème est peut-être que Barack Obama n’effraie plus du tout les milieux d’affaires, lui qui a reconduit aux plus hautes fonctions de la Réserve fédérale, comme au secrétariat d’État au Trésor, des personnages comme Ben Bernanke ou Timothy Geithner, lourdement impliqués dans la crise des subprimes, et proches de l’administration Bush. Le président candidat a, depuis dimanche, un autre motif de satisfaction. Les sondages lui redonnent un peu d’air, avec cinq points d’avance sur son rival. Malgré une Convention pas très flamboyante durant laquelle il a tenté de se réapproprier le thème du changement. Difficile quand on est le président sortant !

Mais, la course aux financements n’est pas finie. Et, au total, Mitt Romney est toujours leader dans ce domaine. La bataille financière apparaît plus importante encore cette année après que la Cour suprême eut décidé, en 2010, de permettre aux entreprises de financer sans limite les campagnes électorales. Pour la plus grande part, les sommes collectées sont investies dans les clips télévisés et dans des spots de publicité comparative où à peu près tous les coups sont permis. Plusieurs exemples célèbres rappellent l’impact du candidate-bashing. En 1988, notamment, George Bush senior avait accusé dans un spot son rival démocrate Michael Dukakis, gouverneur du Massachusetts, d’être le complice d’un assassin et violeur. Lequel avait commis son crime alors qu’il avait bénéficié d’une autorisation de sortie dans une prison de cet État. Le spot plaçait un commentaire sur la photo du criminel. Effet d’identification garanti. La violence de l’actuelle campagne promet le recours à ce genre de coups bas. La rumeur dit que le camp Romney a accumulé des sommes considérables qu’il ne pouvait pas utiliser avant d’être désigné officiellement par la Convention républicaine de Tampa. Selon l’équipe de campagne d’Obama, Romney disposerait dans certains États de sommes approchant le double de celles du président sortant. D’un côté comme de l’autre, on voit bien la perversion du système. Ce n’est certes pas nouveau, mais la Cour suprême a ouvert les vannes. Non seulement la campagne peut tomber dans une vulgarité sans limites, mais le pouvoir des lobbies est renforcé. Comment imaginer que le président élu puisse ensuite échapper à l’influence de ces « généreux » donateurs. Ce qui explique que, dans « la plus grande démocratie du monde », les lobbyistes de Goldman Sachs, pour ne citer qu’eux, occupent les postes clés, quoi qu’il arrive…

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