In vino veritas: pas toujours

Chronique « jardins » du week-end. Fruits et légumes peuvent-ils aussi être un objet historique et politique ? Retour, à quelques jours des vendanges, sur l’histoire de la vigne et du vin et des horribles piquettes du passé et du présent.

Claude-Marie Vadrot  • 1 septembre 2012
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In vino veritas: pas toujours

Au jardin, mon chasselas est presque déjà doré et ne paraît pas le moins du monde touché par ces maux qui répandent la terreur et permettent de donner un nouveau coup de pouce aux prix de la moindre vinasse ou des grappes n’arrivant pas d’Afrique du Sud: le mildiou et l’oïdium. Pour ce dernier un vieux truc qui a même été transposé dans les vignobles d’Argentine et du Chili : planter tout près un ou deux rosiers qui serviront à signaler l’arrivée de ce champignon microscopique qui couvre les feuilles d’une pellicule blanchâtre et préviendra qu’il est encore temps de traiter la vigne avec du soufre, pratique autorisée en culture bio à condition, ce qui est contrôlé sur facture, de ne pas dépasser une certaine dose à l’hectare. Non loin de mon chasselas, un raisin ne craint aucune attaque : le Noah. Venu des États-Unis et plus précisément de l’Illinois, ce cépage –tout comme le Clinton qui enivrait les Cévennes-, a été interdit en France au début des années 30. Parce qu’il produisait, paraÎt-il, un vin qui rend fou. Sous deux murs écroulés j’en ai sauvé et récupéré quatre treilles presque centenaires que le grand père de ma femme cultivait et vinifiait clandestinement. Il n’est pas mort fou et c’est à la rédaction de Politis de juger si sa consommation en raisin de table et en jus au goût très particulier consommé depuis une vingtaine d’années m’a fait perdre la raison. En fait, ce fruit blanc donnait un très mauvais vin, « l’horrible piquette » (le Clinton) chantée par Jean Ferrat dans La Montagne…

Ca eut payé, mais ça paye plus

Entre mildiou et calamités climatiques, voici donc venu le temps des pleureuses vigneronnes expliquant qu’après un hiver trop sec, un gel de printemps, une longue pluie d’été, quelques orages, un grand vent et les maladies les plus effroyables, la récolte ne sera pas ce qu’elle devrait être. Comme si les négociants de Bourgogne, de Bordeaux et d’ailleurs (les premiers viennent de se faire prendre la main dans le fût) n’allaient pas une fois de plus et artistiquement, mélanger les étiquettes et les jus de vigne. Cela fait des millénaires, les méthodes se sont sophistiquées, que les producteurs de vin améliorent leurs breuvages tout en se mélangeant un peu les amphores aux dépens des buveurs…

Noé était beurré…

Des vestiges archéologiques datant de 6000 ans et de Babylone signalent déjà clairement la vigne et le vin. D’autre part, on entre là dans la légende biblique, Noé aurait pas mal forcé sur le breuvage fermenté issu de sa vigne une fois débarqué de son arche et le déluge calmé. Après tant d’émotion on le comprend. Le mythe rejoint ainsi la réalité préhistorique puisqu’il n’y a pas loin du mont Ararat, sur lequel s’échoua l’Arche, au cœur du Caucase où les archéologues ont identifié l’apparition d’une ou plusieurs variétés de vignes cultivées il y a 7000 ans ; époque à la laquelle les hommes, comme ceux de Mésopotamie, sur les bords du Tigre et de l’Euphrate, ne tiraient pas de ces plantations que du jus. Ce qui signifie clairement que les joies et les errements bachiques (avec modération…) des hommes et des femmes sont aussi vieux que l’agriculture. Pas surprenant que les premières traces de vignes et surtout de jarres destinées à en recueillir le produit aient été relevées en Géorgie, le pays où la vendange reste une institution et une fête nationale ; le pays aussi où, à la fin des années 50 du XIX éme siècle, Alexandre Dumas en voyage se vit accorder un diplôme de « très grand buveur » par le prince Tchavtchavadzé. Hommage rendu par des Géorgiens dont la grande performance était et reste de lamper leurs vins dans des hanaps de deux ou trois litres. Pour moi, ce pays est à jamais celui de la vigne et du vin. Plus tard dans l’histoire, 2500 ans avant notre ère, les ancêtres des Géorgiens ayant fait école, des bas-reliefs égyptiens ont fixé pour la postérité les scènes de vendanges et de foulage du raisin. Dès cette époque, notamment en Mésopotamie, le raisin qui se conservait mal, se faisait sécher au soleil. L’invention du raisin sec, produit à la portée du jardinier amateur, est à la fois accidentelle et contemporaine de celle du vin.

Piquette parisienne

Pour ce qui concerne la France, au plus exactement la Gaule celtique, c’est dans les environs de Marseille, alors Massilia, quelques 600 ans avant notre ère, que les vignes et le raisin s’installèrent sur le territoire. En quelques dizaines d’années, par la grâce ou la faute des Phocéens qui avait apporté cette culture et ces habitudes de Grèce, de pauvres piquettes très chargées en tanin, l’analyse des amphores l’a prouvé, commencèrent à concurrencer la cervoise. Les vignes se répandirent si rapidement sous les Romains, qui les trimballaient au rythme de leur conquête ; précurseur de bien des politiques agricoles, l’empereur Domitien ordonna l’arrachage de la moitié du vignoble méditerranéen français. Il faisait une concurrence déloyale à la production romaine de vin. Bien plus tard dans les années 30 du XVIII éme siècle, Louis XV en fera autant pour juguler la production de vins médiocres qui étaient de véritables « pousse-au-crime ». Des Romains aux Gaulois, la vigne gagna le nord, passant par le Bordelais et la Bourgogne. La progression fut telle qu’au Moyen Age, et pour longtemps, Paris et la région parisienne devinrent le plus grand vignoble de France. Mais le breuvage infâme de la vigne de Montmartre rappelle que ce n’était pas le meilleur…

La preuve par le passé, surtout en ces temps de réchauffement climatique, que s’offrir une ou plusieurs treilles dans un jardin de la région parisienne, ne relève ni de la lubie ni de l’utopie. Il suffit d’un mur exposé au soleil, et emmagasinant donc de la chaleur pour qu’une vigne s’épanouisse et donne très rapidement du raisin, qu’il soit rouge, blanc ou doré. Pour avoir une certitude de réussite il faut pouvoir compter, dés le printemps sur une exposition quotidienne d’un minimum de six heures aux rayons du soleil. Car il fut un temps pas si lointain ou presque toutes les maisons s’offraient le plaisir automnal du raisin de la treille. Il en reste encore à Paris, dans le 20 éme et le 13 éme notamment, et à quelques mètres de Politis . Avec les glycines c’est ce qui résiste le mieux au temps, même lorsqu’au sol, leur espace vital est réduit à une margelle en pierre ou en ciment de quelques dizaines de centimètres carrés.

Pour le vin, ne rêvez pas, il faut quand même beaucoup de grappes et surtout c’est un art difficile à maîtriser si on ne veut pas imposer une redoutable purge de7 à 8° à sa maisonnée et à tous ses amis.

Le bio n’est pas toujours bien biau

Et le vin bio ? Il gagne du terrain à grande vitesse puisque chaque année, la surface des vignes cultivées en bio augmente de 20 % en moyenne. Grâce à quelques mordus, grâce à ceux qui ne veulent plus s’empoisonner en traitant et enfin grâce à ceux qui, simplement, flairent goulûment le bon créneau du pinard auquel il est possible de donner des prix fous. Ceux-là se retrouvent depuis le mois de juillet face un nouveau label européen, « vin biologique » aux vignerons qui se contentent pas de « cultiver sans engrais ni pesticides » mais s’obligent à préparer leurs breuvages sans manipulations chimiques au cours de la vinification. Une bonne nouvelle pour le buveur si des industriels du pinard ne s’emparent pas de cette nouvelle réglementation pour la détourner et vendre des vins sans âme à des pris prohibitifs.

Écologie
Temps de lecture : 7 minutes
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