Les « gens très sérieux » au piquet

Dans son dernier ouvrage, le prix Nobel d’économie américain Paul Krugman critique l’austérité et plaide pour la relance.

Thierry Brun  • 13 septembre 2012 abonné·es

Lors d’une récente conférence de presse avec Marion Monti, chef du gouvernement italien, François Hollande a promis « une stabilité des dépenses et des effectifs de la fonction publique » ainsi « qu’une réduction des déficits » dans le prochain budget 2013. Le chef de l’État français a invoqué une raison majeure pour ne pas renégocier le traité budgétaire européen, signé en mars par Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel : Il faut « faire en sorte que l’Europe soit regardée comme une zone stable où la confiance puisse revenir » et, « pour que la confiance soit là, nous avons besoin de sérieux budgétaire ».

Le sort de la France apparaît inexorable : seule l’austérité peut sauver l’économie nationale. Assenée par les nombreux « austériens », cette doctrine, défendue par les principaux dirigeants européens, consiste à couper dans la dépense publique et réduire les déficits alors que l’économie est déprimée. Dans son dernier ouvrage, Paul Krugman, professeur émérite à l’université de Princeton et chroniqueur au New York Times, taille en pièces – ridiculise même – la « pensée ordinaire » de ceux qui nous gouvernent ( « les gens très sérieux », selon son expression). Et le prix Nobel d’économie 2008 avertit : « Pour tout dire, je pense même que c’est profondément destructeur. » « Il a fallu des décennies de mauvaises mesures et d’idées fausses pour nous plonger dans cette crise […], [elles] ont proliféré parce qu’elles ont très bien fonctionné pendant longtemps, pas pour la nation dans son ensemble, mais pour une poignée d’individus très riches et très influents. Et ces mauvaises mesures et ces idées fausses ont profondément imprégné notre culture politique, ce qui rend très difficile toute altération du cours des choses, y compris face à la catastrophe économique. » Appliquées en Irlande, en Grèce, en Espagne et en Italie, elles ont eu de lourdes conséquences : « Le problème de la dette et les plans d’austérité censés ramener la confiance n’ont pas seulement tué dans l’œuf toute possibilité de reprise, ils ont produit de nouveaux affaissements et fait exploser le chômage. »

Paul Krugman souligne que les « gens très sérieux » ont totalement évacué un grand principe énoncé par Keynes et vérifié par des décennies de programmes d’austérité budgétaire administrés dans des pays développés : « C’est en phase d’expansion, pas de ralentissement, qu’il faut appliquer l’austérité. » Alors, quelle est la solution ? Pour le Nobel d’économie, « la réponse est évidente ; le hic, c’est qu’un très grand nombre de personnages influents s’obstinent à ne pas la voir ». À rebours des plans d’austérité, l’économiste plaide pour une politique créatrice d’emploi, luttant contre la dérégulation du système financier et propice à une « réduction des écarts de revenus ». « Dans une économie profondément déprimée, quand les taux d’intérêt susceptibles d’être contrôlés par les autorités monétaires sont proches de zéro, il faut que l’État dépense davantage, pas moins », jusqu’à ce que le secteur privé « soit en mesure de reprendre son rôle de moteur de l’économie. » Le message central qui ressort de ces analyses est qu’un trop grand nombre d’acteurs de premier plan, particulièrement en Europe, ont jeté aux oubliettes les leçons de l’histoire et se satisfont de préjugés idéologiquement et politiquement commodes. Une pensée commune jugée désastreuse par Krugman.

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Traité européen : Et si on disait non
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