La révolution bolivarienne au pied des urnes

En dépit de nombreuses réussites sociales, la précarité et l’insécurité peuvent faire basculer certains électeurs au moment du vote.

Jean-Baptiste Mouttet  • 4 octobre 2012 abonné·es

Le centre de Caracas bat au rythme de la campagne présidentielle. Sur des étals de marché de couleur rouge, des fruits et des légumes sont vendus à « prix socialiste », tandis que des militants distribuent des posters du Président souriant devant le drapeau vénézuélien. La « mission 7 octobre » continue son travail de persuasion. Ce jour-là, le Comandante se présentera pour un quatrième mandat. Depuis treize ans au pouvoir, il affrontera Henrique Capriles Radonski, le candidat d’une vaste coalition allant des déçus du chavisme à la droite. Hugo Chávez est toujours populaire, comme le démontrent la plupart des sondages, proches de l’opposition ou du gouvernement, qui le donnent gagnant. L’Institut Datanálisis, qui ne peut être soupçonné de rouler pour le pouvoir, donne 49,4 % des intentions de vote au président socialiste (contre 39 % pour Henrique Capriles) [^2]. « Hugo Chávez demeure puissant dans les sondages, mais c’est bien plus serré que lors des élections présidentielles précédentes » assure le président de l’institut, Luis Vicente León. 11,6 % des interrogés n’ont pas souhaité répondre. Pour la MUD (la Table de l’unité démocratique, la coalition d’opposition), ces indécis se reporteront sur Capriles. Quoi qu’il en soit, l’élan ne semble pas s’être brisé dans certains quartiers populaires comme à Catia, en banlieue de Caracas. Dans l’un de ses barrios, ces quartiers pauvres semblables aux favelas brésiliennes, à Tamanaquito, les portraits d’Hugo Chávez sont partout, accrochés comme des étendards aux fenêtres. Des haut-parleurs sortent les slogans de campagne : «  Hu Ha ! Chávez ne t’en va pas  ! » ou sa variante : «  Hu Ha ! Chávez continuera !  » C’est là que vit Antonia Aldana, 49 ans. Casquette rouge sur la tête, elle ne croit pas une seconde à une défaite du chef d’État : « Quand je vois les policiers en Espagne qui frappent de jeunes manifestants, je me dis que nous avons de la chance d’avoir un président qui respecte son peuple. » Son vote, elle le donnera à Hugo Chávez avant tout pour sauvegarder les « missions », ces programmes sociaux qui concernent de multiples domaines. Les premières ont été lancées en avril 2003, il en existe une vingtaine aujourd’hui. « Grâce aux missions, nous pouvons nous faire soigner ou suivre des cours gratuitement. Nous devons lutter pour les sauvegarder », détaille-t-elle. Antonia Aldana fait référence à la mission Barrio Adentro, grâce à laquelle jusqu’à 18 000 médecins cubains ont été envoyés au Venezuela, et à la mission Ribas, un programme éducatif destiné aux jeunes et aux adultes n’ayant pu obtenir leur diplôme secondaire. « Ici, dans la communauté, des adultes ont même appris à lire ! », s’exclame Antonia. En 2005, l’Unesco a déclaré le Venezuela « sans analphabétisme ». Une grande avancée notamment due à la mission Robinson et à ses cours dispensés à la population.

Une baisse de la pauvreté

Les missions sont entièrement financées par le pétrole. Pour l’économiste proche du pouvoir Luis Matos, « elles ont permis d’investir un plus grand pourcentage du PIB pour satisfaire les besoins basiques de la grande majorité ». Ainsi, les supérettes Mercal ou PDVAL vendent des produits à prix subventionnés, beaucoup moins chers que sur le marché privé. Autre besoin de base : le logement. Rodrigo Rivera, 22 ans, a vu sa maison de Catia partir sous les flots de boue « le lundi 29 novembre 2010 à 9 heures ». Depuis, il vit dans un refuge et connaît l’emplacement de son futur logement, payé par l’État. Il bénéficiera de la mission Vivienda (logement), qui prévoit la construction de 2 millions de maisons et d’appartements d’ici à 2018. Dans un pays où près de la moitié de la population vit dans les barrios, sur des terrains instables, des politiques musclées dans ce domaine sont une nécessité. Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepalc), qui dépend de l’ONU, la pauvreté a diminué de 20,8 % entre 2002 et 2010 au Venezuela. Mais 27,8 % de la population demeure pauvre. L’historienne Margarita Lòpez, proche du parti Patrie pour tous (longtemps indépendant, il est aujourd’hui tiraillé entre des soutiens à Hugo Chávez, d’autres à Henrique Capriles et à une candidature autonome), ne remet pas en question ces chiffres, pourtant critiqués par l’opposition, mais, selon elle, « 28% de pauvres dans un pays qui possède les plus grandes réserves mondiales de pétrole, c’est encore beaucoup trop. La pauvreté ne diminue plus, et beaucoup de Vénézuéliens demeurent dans une dépendance vis-à-vis de l’État ».

Des aides, pas d’État providence

L’importance de l’inflation (27,6 % en décembre 2011, selon la Banque centrale du Venezuela (BCV), qui prévoit qu’elle tombe à 18,1 % à la fin de cette année) fait dépendre une grande partie de la population des marchés et supermarchés de l’État. Dans un pays tourné vers le pétrole (45 % du PIB en dépend), l’économie vit des importations, quitte à payer le prix fort ou à subir des pénuries pour certains produits comme le café ou l’huile. Luis Matos soutient que cette inflation est un signe de « l’augmentation du revenu moyen », « les prix augmentent parce qu’augmentent la demande et la masse monétaire  ». D’après la BCV, les Mercal ont bénéficié à 4,6 millions de personnes en 2011. Mais, toujours d’après la banque d’État, ils comptaient 11,5 millions de bénéficiaires en 2005… Même l’emblématique mission Barrio Adentro a décliné : 11,7 millions de patients ont visité les dispensaires en 2005, ils n’étaient plus que 6,7 millions en 2009. Ces chiffres peuvent être interprétés de deux façons : soit les Vénézuéliens ont moins besoin d’y recourir, soit ces institutions s’effritent. Si, à Catia, les personnes interrogées assurent que les dispensaires sont toujours présents, à San Felix, un des plus grands barrios d’Amérique du Sud, à l’ouest du pays dans l’État de Bolivar, des témoignages soutiennent le contraire. Milagros, 54 ans, raconte qu’elle doit faire quelques kilomètres de plus depuis que le dispensaire proche de chez elle a fermé. Elle peine à se déplacer et à se procurer ses médicaments. Pour autant, Milagros ne votera pas pour le candidat de l’opposition. Malgré une économie en forme, la précarité demeure. Le chômage touche entre 7 et 8 % de la population selon l’Institut national des statistiques (INE), alors que la croissance était de 5,6 % au premier semestre 2012, d’après la BCV. « Le problème est le sous-emploi, car la moitié de la population active travaille dans le secteur informel avec des salaires très bas. Si on prend en compte les chômeurs et que l’on ajoute les personnes du secteur informel, nous voyons que la précarité touche 60 % des travailleurs », note José Guerra, un économiste proche de l’opposition. Luis Matos est en désaccord avec ce point de vue : « Certains voient le travail salarié comme unique solution. Les personnes qui vendent des journaux, des confiseries, des cigarettes gagnent plus du double du salaire minimum. Nous croyons que chacun doit travailler où il le souhaite, selon sa vocation, et pas seulement pour un revenu salarié. » Le secteur de l’emploi a d’ailleurs été un grand chantier de la révolution bolivarienne cette année. Par la « loi d’habilitation », qui, depuis les inondations de décembre 2010, permet au chef d’État de légiférer dans de multiples domaines par décret-loi, Hugo Chávez a tenu une promesse faite en… 1999. Le 30 avril dernier, la loi organique du travail, des travailleurs et des travailleuses (Lottt) était promulguée, redessinant ainsi la vie professionnelle des Vénézuéliens. Entre autres, la semaine de travail est passée de 44 à 40 heures, 4 jours fériés ont été ajoutés, le congé maternité est passé de quatre mois et demi à six et demi, les licenciements sont plus coûteux pour les patrons, les indemnités de fin de contrat sont calculées en fonction du dernier salaire.

L’insécurité : l’échec

Nestor Segovia, membre d’un conseil communal, instance de pouvoir local gérée par les habitants, ne tarit pas d’éloges sur la révolution. Depuis le bureau du conseil à Petare, barrio à l’ouest de la ville, il cite bien entendu les missions et la solidarité des habitants prêts à s’organiser pour se venir en aide. Mais, à l’évocation de l’insécurité, il émet sa première critique. Sous le regard du Che représenté sur un immense poster, il raconte : « On tuait pour des chaussures de marque, des smartphones, et maintenant c’est pour ces petites motos chinoises. Cela pousse certains à voter contre Chávez. Il a fait des choses mais il aurait pu faire plus. » Selon le ministre de l’Intérieur et de la Justice, Tareck el Aissami, il y aurait eu 14 000 homicides en 2011 (soit environ 38 tués par jour), 18 850 selon l’Observatoire vénézuélien de la violence (OVV) (environ 52 tués par jour). Il y en avait 4 550 en 1998, selon le gouvernement de l’époque. La création de la police nationale bolivarienne, dont les membres bénéficient d’une formation, en 2009, ou la jeune mission A Toda Vida Venezuela, débutée en juin dernier et qui propose de réformer le système pénal, insistant sur la prévention et le renforcement des organismes de sécurité, n’ont pas porté leurs fruits. Humberto Segovia a décidé de franchir le pas et de voter pour l’opposition : « Je n’ai aucune sympathie pour Henrique Capriles, mais il y a plus d’insécurité qu’auparavant. Les coupures d’eau, d’électricité, ce n’est pas grave, mais tant de meurtres… » Petare se situe dans l’État de Miranda, gouverné par le candidat de l’opposition. L’appui pour Hugo Chávez y est plus mitigé qu’à Catia. Aux fenêtres, le slogan «  Il y a un chemin  » d’Henrique Capriles rivalise avec «  Chávez, cœur de ma patrie  ».

[^2]: Sondage réalisé entre le 25 août et le 5 septembre auprès de 1 600 personnes.

Publié dans le dossier
Qui est vraiment Chávez  ?
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