Maître, allégez mon impôt !

Des cabinets proposent leurs conseils aux entreprises comme aux particuliers. Terrain gagnant pour l’optimisation fiscale ? L’Europe.

Thierry Brun  • 11 octobre 2012
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Le désir d’exil fiscal en Suisse, en Belgique ou ailleurs est une aubaine pour les cabinets d’avocats cherchant à capter une clientèle en quête de conseils en « optimisation fiscale » ou en « délocalisation », offres qui pullulent sur Internet. « L’avocat fiscaliste a l’obligation d’appliquer la loi dans les meilleures conditions possibles en faveur de son client, mais pas au-delà. Cela veut dire qu’il doit dissuader son client de faire des opérations qui pourraient être illégales, mais en même temps le protéger contre des lois qui pourraient être contraires à la Constitution ou aux conventions internationales », explique Patrick Michaud, avocat dont le cabinet parisien est spécialisé dans la sécurité juridique, financière et fiscale de ses clients. Cet ancien inspecteur des impôts explique cependant qu’il est « sollicité tout le temps. Les gens vont voir un conseil pour avoir la meilleure solution fiscale avec le moins de risques possible ». Et ce point de vue, ainsi que celui d’autres avocats fiscalistes, apparaît aussi dans les nombreux rapports parlementaires consacrés à la fuite des capitaux, aux paradis fiscaux, à l’évasion et à la fraude fiscales. Auditionnée par la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion des capitaux, Manon Sieraczek-Laporte, avocate spécialiste en droit fiscal, membre de l’Institut des avocats et conseils fiscaux (IACF), rappelle aux sénateurs le « fâcheux malentendu consistant à considérer que l’avocat fiscaliste faciliterait l’évasion et la fraude. Or, souvent, les avocats fiscalistes participent au recouvrement de l’impôt ». Cependant, l’augmentation constante des mouvements de capitaux a entraîné le développement d’un vaste secteur de services, allant des sociétés de gestion de fonds aux cabinets d’avocats, des experts-comptables et réviseurs d’entreprises aux administrateurs de fonds de riches particuliers. Les grands groupes, que ce soit en interne ou en recourant à des avocats-conseils, disposent de ressources humaines et financières importantes pour utiliser à leur profit la complexité juridique des réglementations fiscales européennes. « Vous avez des professeurs Tournesol de la fiscalité qui font des montages absolument fabuleux, mais avec le risque extrêmement important d’être pris par le fisc », confie Patrick Michaud.

Surtout, « il n’y a aucune uniformisation fiscale au niveau européen, assure Jean-Pierre Magremanne, avocat fiscaliste du cabinet Xirius, situé à Bruxelles. Par exemple, il n’y a aucun projet concret qui serait sur le point d’aboutir pour uniformiser la base de l’impôt sur les sociétés entre les différents pays européens. Ce qui a été fait se limite aux flux de dividendes entre sociétés établies dans deux pays. Même chose pour les intérêts et, dans une certaine mesure, pour les fusions transfrontalières ». Pour Jean-Pierre Magremanne, « chaque pays européen est un paradis fiscal dans son domaine. La Belgique est, par exemple, un paradis fiscal pour les rentiers : il vaut mieux être riche et vivre de son capital et de ses plus-values que de vivre de son travail ». Depuis 2009, Manon Sieraczek-Laporte s’occupe de dossiers portant sur les comptes non déclarés détenus par des Français au sein de la banque privée HSBC à Genève. L’avocate souligne que « ces activités sont parfaitement légales compte tenu de la liberté d’établissement et de circulation des personnes, des prestations de services et des capitaux ». Ainsi, la frontière entre délocalisation légale, évasion et fraude fiscale est particulièrement ténue quand est inscrite dans le marbre de l’Union européenne la liberté de mouvement des capitaux.

« L’évasion fiscale peut s’assimiler à de l’abus de droit, mais ce n’est pas toujours le cas »,* insiste Manon Sieraczek-Laporte. Les particuliers « peuvent être tentés d’établir leur domicile fiscal dans un paradis fiscal ou dans un pays disposé à les taxer sur une base réduite. Si ce transfert est réel, l’administration du pays de départ ne peut trouver à y redire », précise l’avocate. Selon elle, les fraudes les plus fréquentes sont « celles liées à la minoration du chiffre d’affaires, à la fraude aux livraisons intracommunautaires, à l’absence de déclaration de comptes bancaires détenus à l’étranger ou encore à la fausse domiciliation de personnes morales avec requalification d’établissement stable, voire aux plus-values non déclarées ». Pas de quoi diminuer le nombre de candidats à l’exil. D’après les avocats spécialisés, les particuliers fiscalement résidents en France qui cherchent à s’expatrier dans des pays développés voisins privilégient trois destinations : le Royaume-Uni, la Belgique et la Suisse. Ces clients avancent l’argument d’une « insécurité fiscale », explique Patrick Michaud : « Les lois fiscales changent tous les six mois. Et il y a aussi des raisons juridiques et administratives qui font que de grandes entreprises s’installent par exemple au Luxembourg. » L’ancien inspecteur des impôts estime aussi que « l’impôt sur la fortune français  [ISF] est un vrai problème. Le nouvel ISF est le plus élevé d’Europe. J’ai connu cette situation en 2000 : cela a été une cause de départ des contribuables français ». Outre-Quiévrain, « de plus en plus de personnes, surtout des Français, me consultent pour savoir s’il est intéressant pour eux de transférer leur résidence fiscale vers la Belgique, ajoute Jean-Pierre Mangremanne, qui évoque aussi le départ des Belges vers des horizons plus attractifs. Au moment de toucher sa pension ou une assurance collective, il peut être plus intéressant pour un résident belge de devenir résident français, car il subira une taxation moindre. Des clients me demandent également s’il n’est pas plus intéressant d’établir leur société au Luxembourg plutôt qu’en Belgique ». Et, bien conseillées, des entreprises parviennent à avoir un taux d’imposition moyen plus faible que celui des PME, explique un des avocats fiscalistes. L’Europe offre ainsi de multiples possibilités d’échapper à des taux d’impôt considérés comme trop élevés.

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