Compétitivité : les annonces de Jean-Marc Ayrault reposent sur « un diagnostic erroné »

En annonçant une baisse d’impôt de 20 milliards d’euros en trois ans pour les entreprises, compensée par une hausse de la TVA, le gouvernement socialiste renie ses engagements et s’impose un nouveau poids budgétaire. Une mesure inefficace, selon l’économiste Michel Husson.

Erwan Manac'h  • 8 novembre 2012
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Compétitivité : les annonces de Jean-Marc Ayrault reposent sur « un diagnostic erroné »
© Photo : AFP / JOEL SAGET

Le « sursaut » sera coûteux. Cédant aux préconisations du Medef et du rapport de l’ex–patron d’EADS, Louis Gallois, le gouvernement socialiste a annoncé, mardi 6 novembre, 20 milliards d’euros de baisse d’impôt pour les entreprises. Le tout, au service d’un « sursaut de compétitivité ».

Pour compenser en partie cette mesure, la TVA sera globalement augmentée pour générer 7 milliards d’euros de recette nouvelle (les taux de 19,6 %, 7 % et 5,5 % passeront à 20 %, 10 % et 5 %). Le reste de la mesure devra être financé par des baisses de dépenses publiques.

Michel Husson, économiste, membre de la fondation Copernic et du conseil scientifique d’Attac, anticipe l’inefficacité de cette politique de « relance par l’offre », dans un contexte de récession économique qui comprime la demande.

Politis.fr : Les mesures fiscales annoncées par Jean-Marc Ayrault vous semblent-elles efficaces ?

Michel Husson : Elles ne correspondent pas au constat, relativement répandu, sur la compétitivité de notre industrie. Les nombreux rapports qui prêchent pour le fameux « choc de compétitivité » mettent en avant des éléments de compétitivité « qualitative », en termes de recherche, d’innovation, de spécialisation, etc.

Dans sa réponse, le gouvernement laisse penser que c’est le « coût du travail » qui est trop élevé. L’argument est que les entreprises françaises ont des marges trop réduites qui les empêchent d’investir, d’innover, d’automatiser leur production et de rattraper leur retard en termes de compétitivité « qualitative ». Or, le vrai problème, c’est l’usage qu’elles font de leurs profits. Si les entreprises versaient un peu moins de dividendes à leurs actionnaires, elles auraient pu innover.

Par ailleurs, ces crédits d’impôt sont accordés sans condition. Il n’existe aucune garantie qu’ils seront effectivement consacrés à rétablir les bases de la compétitivité. D’expérience, nous savons – par exemple depuis la loi Aubry 2 [sur les 35 heures] – que les allégements de cotisations sans contrepartie sont inefficaces.

Les règles européennes empêchent aussi de cibler ces aides, au nom de la concurrence non faussée. Toutes les entreprises vont profiter de ces crédits d’impôt. Y compris dans des secteurs qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale, comme la restauration, ou le bâtiment.  Pour les grands groupes multinationaux, qui réalisent les deux tiers de leur chiffre d’affaires en dehors de la France, cette mesure servira simplement d’« effet d’aubaine ».

L’industrie, qui a le plus besoin d’innover, ne bénéficiera que d’environ un tiers de la baisse d’impôt. Le gouvernement accorde un allégement tous azimuts au lieu de mettre en place une véritable politique industrielle.

Plus généralement, vous critiquez cette politique de chasse à la « compétitivité »…

Nous ne sommes pas sortis de la récession. En France, nous avons un terreau de petites entreprises au bord de la faillite. Ce dont elles ont besoin dans l’immédiat, c’est qu’on gonfle leur carnet de commandes. Or, le gouvernement crée de la récession en cherchant à tout prix à retrouver l’équilibre budgétaire. Il compromet le redémarrage. Pour que les politiques de « reconstitution » de l’offre compétitive soient efficaces, il faut qu’il y ait des perspectives de croissance et de demande. Or, si on coupe la demande, on s’éloigne de la possibilité d’une amélioration de la croissance.

D’autant que tout le monde en Europe fait à peu près la même chose. Cette lutte pour le partage le gâteau fait diminuer le gâteau.

Cette politique est un pari. Coincé entre les contraintes budgétaires et un diagnostic faux.

Ces propositions constituent-elles un virage du gouvernement socialiste ?

Oui, par rapport aux déclarations qui avaient été faites.

Mais le véritable tournant était davantage la signature du Traité européen. On inscrit notre politique économique dans une vision calibrée par des impératifs budgétaires.

Il y a par exemple une grande contradiction dans le rapport Gallois : il prône des investissements d’infrastructures, notamment dans l’économie verte, etc. Mais l’intervention publique que cela nécessiterait est rendue impossible par les normes du Traité européen [ratifié le 11 octobre par la France]. L’engagement de revenir à l’équilibre budgétaire empêche tout investissement public, car il devrait être financé par endettement, ce qui serait tout à fait légitime.

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