La mauvaise idée de François Hollande

Denis Sieffert  • 8 novembre 2012 abonné·es

Qui est François Hollande ? Est-il hésitant ? Versatile ? Ou simplement patient, déterminé et indifférent à l’écume des sondages ? Que ce soit dans le débat économique, la fameuse controverse sur la compétitivité (voir l’article de Thierry Brun en p. 6), ou sur certains sujets de société, la réponse demeure incertaine. Le nouveau Président a tout de même donné récemment quelques signes inquiétants de versatilité sur un thème qui ne fait plus guère la une des médias, mais qui est toujours observé à la loupe dans le monde arabe : le conflit israélo-palestinien. La France a reçu la semaine dernière le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Ce n’est pas la première fois, et ce n’est sans doute pas la dernière, que la realpolitik l’emporte sur quelques grands principes qui prêtent à sourire dans les chancelleries. À vrai dire, beaucoup chez nous ne savent pas, ne savent plus, ou ne veulent pas savoir que quelques droits fondamentaux sont quotidiennement bafoués dans cette région du monde.

Pas plus tard que mardi, le ministère israélien de l’Habitat a encore publié des appels d’offres pour la construction de 1 213 logements de colons à Jérusalem-Est. Et la discrimination est si manifeste à l’égard des Palestiniens de Cisjordanie, et de ceux qui sont officiellement citoyens israéliens, qu’un récent sondage montre qu’une majorité de juifs israéliens ne craignent plus de parler d’apartheid [^2]. Ce racisme d’État est enfoui chez nous sous les plis d’un déni collectif qui n’efface pas la réalité, et peut-être même l’aggrave. C’était donc déjà bien assez que le président de la République française, homme de gauche, se sente obligé de recevoir le principal artisan de cette politique, lequel vient de sceller, qui plus est, un nouvel accord électoral avec la droite la plus extrême. Était-il nécessaire que François Hollande y ajoute un soutien zélé au discours officiel israélien repris à la virgule près ? Devait-il, pour être agréable à son hôte, dire l’exact contraire de ce qu’il avait affirmé sur le sujet pendant la campagne électorale ? C’est pourtant ce qu’il a fait. «   La France, a déclaré François Hollande, souhaite la reprise – sans conditions – des négociations entre Israéliens et Palestiniens. » Petite phrase en apparence anodine, et qui mérite d’être décryptée. Qu’appelle-t-on « conditions » dans la langue de bois israélienne ? Tout simplement le gel de la colonisation. M. Netanyahou veut bien négocier cent ans, comme l’un de ses prédécesseurs, Ytzhak Shamir, voulait bien négocier « mille ans », pourvu qu’il puisse dans le même temps continuer de coloniser pour en venir au constat qu’il n’y a plus rien à négocier… M. Hollande sait-il ce qu’il a dit ? Sait-il qu’il s’est prononcé contre le gel de la colonisation ? Ou a-t-il été le jouet d’un conseiller roublard ?

Mais ce n’est pas tout. Il s’est livré à une autre volte-face. «  Il y a aussi la tentation pour l’Autorité palestinienne, a-t-il dit, d’aller chercher, à l’Assemblée générale des Nations unies, ce qu’elle n’obtient pas dans la négociation. Seule la négociation pourra déboucher sur une solution définitive à la situation de la Palestine. » Autre petite phrase anodine qui cache à peine un désaveu de la démarche palestinienne entamée en désespoir de cause pour obtenir un statut d’État observateur à l’ONU. En quelques mots, le Président français a balayé ses promesses de campagne, et les droits des Palestiniens. François Hollande est-il un Zelig de la politique – ce personnage de Woody Allen qui, tel un caméléon, ressemblait toujours à celui qu’il avait en face de lui ? Dirait-il l’inverse en présence de Mahmoud Abbas ? C’est possible. Mais ce n’est guère plus rassurant. Heureusement, Benyamin Netanyahou a réussi, comme souvent, à être assez inélégant pour obliger le Président français à rompre un instant au moins avec ce troublant mimétisme. Lorsqu’il a invité les juifs de France à rejoindre Israël, François Hollande a dû lui rappeler – timidement, il est vrai – que « la place des juifs de France est en France ».

Et puis François Hollande a eu une très mauvaise idée. Celle d’accompagner Benyamin Netanyahou à Toulouse. La lutte contre l’antisémitisme est d’autant plus forte qu’elle ne se confond pas avec un soutien à Israël dans sa politique de colonisation et d’humiliation à l’égard des Arabes. Sans méconnaître ce qu’Israël peut représenter pour une partie de la communauté juive, et sans oublier que M. Netanyahou est, hélas, le représentant officiel de ce pays, nous pensons qu’il n’était pas utile pour combattre l’antisémitisme en France de s’afficher au côté d’un homme qui vient une nouvelle fois de s’associer au parti extrémiste le plus férocement anti-arabe – Israël Beitenou – qui prône le transfert des Palestiniens, et qui est lui-même un idéologue de la colonisation… On peut comprendre que l’on ait à l’égard de M. Netanyahou quelques obligations diplomatiques, mais point trop n’en faut.

[^2]: Selon un sondage de l’institut Dialog pour le Yisraela Goldblum Fund paru dans Ha’aretz , 59 % des juifs israéliens sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle Israël serait déjà, ou « dans une certaine mesure » , en situation d’apartheid. http://israelpalestine.blog.lemonde.fr

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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