L’égalité dans les quartiers, c’est pour maintenant ?

Alors que le ministre de la Ville a lancé une concertation sur les « quartiers », Esther Benbassa, présidente du Pari(s) du vivre-ensemble, lui reproche sa distance avec les acteurs de terrain.

Esther Benbassa  • 29 novembre 2012 abonné·es

Notre ministre délégué chargé de la Ville, M. François Lamy, a initié une concertation pour la réforme de la politique de la Ville sous ce beau titre : « Quartiers : engageons le changement ». La mode est ces temps-ci à la concertation. On se concerte sans arrêt : l’école, la démocratie territoriale, la prostitution, et bien sûr les quartiers. On écoute, on auditionne, on fait remplir de beaux questionnaires… Notre ministre de la Ville a donc lancé le sien. Ou plutôt deux. Un questionnaire pour les élus et « les professionnels de la politique de la ville ». Un autre pour les « habitants » et les « associations locales ». Dix-huit questions, parfois déclinées en sous-questions, plus une rubrique « Exprimez-vous librement ! ». J’espère que les habitants et les associations ont du temps devant eux, de la patience et le goût des topos écrits.

« Dans les quartiers, l’égalité c’est maintenant ! », deux journées de débats citoyens organisées dans le cadre de l’édition 2012 du « Pari(s) du vivre-ensemble », les 30 novembre et 1er décembre. Palais du Luxembourg, 15 ter, rue de Vaugirard, Paris VIe. Programme, renseignements et inscriptions sur www.parisduvivreensemble.org

Une fois les réponses triées par tel ou tel bureaucrate, et encore, en espérant qu’il y ait assez de réponses, que fera-t-on des résultats ? On planchera doctement sur ce corpus, on multipliera les réunions, on fera enfin, bien sûr, une grande journée de présentation à belle résonance médiatique. Et puis on continuera, comme d’habitude, à se plaindre de la délinquance dans les quartiers, et leurs habitants continueront, eux, à la faveur de violences, ici ou là, à nourrir nos infos et à se rappeler périodiquement à notre bon souvenir… Monsieur le ministre, lisez donc les rapports qui existent déjà sur la question, comme celui de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus), ne vous embarrassez pas de tant de questionnaires. Pour aider ces quartiers, c’est surtout de l’imagination qu’il vous faut. Trouver des solutions nouvelles. Allez donc voir sur place ce qu’on peut faire, vous inspirer des belles et fructueuses expériences déjà initiées, contre vents et marées, par les femmes et les hommes de bonne volonté qui vivent là. Pourquoi avez-vous donc décliné l’invitation que « Le Pari(s) du vivre-ensemble » vous avait lancée ? Deux jours de débats citoyens, les 30 novembre et 1er décembre, au palais du Luxembourg, sur ce que les gens font, ou tout simplement ont l’audace de tenter et de réussir sur le terrain. Vous n’en serez pas. Vous ne serez pas non plus représenté. Fort heureusement, d’autres ministres viendront (Cécile Duflot, par exemple) ou enverront des membres de leur cabinet. Dommage, vraiment. Les quartiers seront là, au cœur même de la République. Les habitants, les acteurs sociaux, les associations, les élus, les artistes. C’était une belle occasion de les entendre, de les écouter. De mettre un moment vos questionnaires entre parenthèses et de vous frotter à toute cette vie à la fois dure et riche d’espérances. Ils vous attendent, ils veulent vous parler.

Je m’adresse à tous nos responsables. La France « d’en bas » ne supportera pas indéfiniment nos manies de concertation théorique, nos commissions, nos groupes d’études. Assez de la faire attendre. Cette France-là veut du concret. Si l’on persiste à les décevoir, les quartiers continueront leur descente. Probablement sans faire de bruit. Sans plus d’émeutes, peut-être, allez savoir. Mais pour devenir une nation dans la nation, repliée dans sa rancœur. Cette jeunesse, pourtant, nous est indispensable, comme sa rage de gagner. L’énergie est là-bas, et pas dans les futiles bavardages. Les promesses électorales attendent d’être réalisées pour de bon. À reculer tant, on ne risque pas d’avancer, aurait dit La Palice…

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